Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
laisser le temps de se justifier ?
– J’ai
refusé d’écouter ce qu’il avait à me dire, rétorqua rageusement Julian. Il m’a
trahi, Cassandra. De sa part, j’étais prêt à tout accepter, mais la trahison
est la seule chose que je ne puisse pardonner.
Lorsqu’il
se tut, on n’entendit plus que le craquement des bûches dans la cheminée.
– Et
Aerith ? interrogea brusquement Cassandra. Comment explique-t-elle ce qui
s’est passé ?
– Elle
prétend qu’elle n’a fait que répondre à ses avances. Quelle importance, du
reste ? Savoir qui a pris l’initiative ne revêt pas le moindre intérêt, le
résultat est le même.
Cassandra
s’abstint de répliquer. Aerith avait-elle tenté de séduire Gabriel ? Si
oui, quel but poursuivait-elle ?
Le
front creusé de profonds sillons, Julian était perdu dans ses pensées.
Cassandra lissait machinalement sa jupe fauve de la main, cherchant les mots
susceptibles d’apaiser son ami et de le ramener à la raison. Julian avait
besoin de Gabriel, comme Gabriel avait besoin de lui. Ils souffraient tous deux
de cette séparation, c’était une évidence.
– Allez
lui parler, dit-elle enfin. Quoi que vous prétendiez, je suis certaine que vous
regrettez de n’avoir pu vous expliquer avec lui. Il est ici, dans ce manoir,
vous ne pouvez laisser échapper cette occasion…
Julian
tourna lentement la tête vers elle. Les flammes du foyer accentuaient le relief
de ses traits aristocratiques, transformaient ses yeux en d’insondables
abysses.
– Peut-être avez-vous
raison. Je devrais y aller.
Il
y avait dans sa voix un éclat métallique qui paraissait démentir ses paroles,
mais Cassandra, trop heureuse de le voir si docile, n’y prit pas garde.
– Bien
sûr, approuva-t-elle avec chaleur. S’il y a la moindre chance de vous
réconcilier, vous devez essayer. Nous perdons si vite ceux qui nous sont chers…
Julian
la fixa encore durant un temps infini, puis il acquiesça, avec un demi-sourire.
*
Gabriel
reposa en soupirant son exemplaire d’Orgueil et Préjugés, se
leva et fit quelques pas dans la petite chambre. Même les romans de sa chère
Jane Austen, qu’il avait extraits de la bibliothèque de Cassandra, ne
parvenaient pas à le consoler de son infortune. Toujours, les images des
événements de Lynton Hall revenaient le hanter.
Il
ne cessait de revivre la même scène, ce moment crucial où il avait frappé à la
porte d’Aerith, persuadé que Julian se trouvait avec elle. Mais il s’était
trompé ; la jeune femme était seule. Elle n’avait pas paru surprise de le
voir, et l’avait même invité à entrer dans sa chambre. Bien sûr, il aurait dû
refuser et s’en aller, mais il en avait été incapable. Une force irrésistible
le poussait vers Aerith. La porte s’était refermée derrière lui et ensuite…
ensuite, presque contre sa volonté, il avait commis l’impardonnable. Puis
Julian était entré. Ce regard qu’il lui avait lancé… Gabriel ne pouvait y
songer sans ressentir la brûlure de la honte. D’autant qu’il n’avait aucune
explication valable à fournir ; lui-même ignorait pourquoi il avait agi
ainsi avec cette femme.
Gabriel
n’avait pu que rassembler quelques affaires avant de partir sans même pouvoir
faire ses adieux à Laura. Dieu seul savait comment il était arrivé chez
Cassandra, mais sa demeure lui semblait être le seul refuge possible. Depuis
qu’il était au manoir Jamiston, Gabriel avait eu le temps de réfléchir à sa
conduite. Il fallait regarder les choses en face : aussitôt qu’elle était
arrivée à Lynton Hall, il s’était senti menacé par Aerith. Alors il avait
éprouvé le besoin irrépressible de savoir ce que Julian avait pu ressentir avec
elle, pourquoi il lui demeurait attaché malgré ses mensonges. Oui, c’était
cette volonté de comprendre à tout prix la profonde empreinte qu’elle avait
laissée dans le cœur et l’esprit de Julian qui l’avait poussé dans ses bras.
Etait-ce de la jalousie ? Sans doute, mais pas seulement.
Tandis
qu’il arpentait la mansarde, il entrevoyait à présent une raison plus profonde,
plus dérangeante aussi. Cette idée dont il n’avait jamais pu se défaire
complètement : il ne méritait pas Julian. C’était aussi simple que cela.
Gabriel
se figea tout à coup. Des pas résonnaient dans l’escalier de pierre de la tour.
Des pas qu’il reconnut immédiatement. Il les avait si souvent entendus, si
souvent
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