Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
visiteurs les introduisit au salon. Jeremy
apparut le premier, suivi par Clayton Blake, une serviette de cuir sous le bras
et l’air passablement renfrogné.
Cassandra
eut la surprise de reconnaître en lui l’homme qu’elle avait aperçu à l’asile de
Reinfield après l’évasion d’Angelia. Était-il chargé de l’enquête concernant la
fuite de sa sœur ? Pourtant, l’asile ne devait pas relever de sa
juridiction… Cassandra s’étonnait d’ailleurs de n’avoir reçu la visite d’aucun
policier depuis l’évasion.
Clayton
Blake parut tout aussi surpris de la voir, et même étrangement mal à l’aise. Il
y eut un moment de gêne, que Jeremy rompit avec sa bonhomie coutumière.
– Je meurs de faim,
lança-t-il, que mangeons-nous ce soir ?
*
Du
point de vue de Megan, la soirée ne fut pas loin d’être un véritable fiasco.
Clayton Blake se révéla un piètre convive, ne parlant que par monosyllabes
qu’il fallait de surcroît lui arracher de la bouche. C’était un homme de silences
et de demi-phrases qui demeuraient en suspens. Il fallait constamment tenter
d’imaginer ce qu’il voulait dire, essayer de remplir les vides laissés par ses
ellipses. Megan, qui attendait des révélations sur les assassinats de la Dame
Noire, en fut pour ses frais.
« C’est
bien ma chance, songea-t-elle, mécontente, cet homme est un vrai ours. »
Cassandra
de son côté ne faisait aucun effort pour améliorer l’ambiance. Elle présidait
la tablée avec une politesse distante qui laissait clairement entendre que les
convives n’étaient pas les bienvenus. Loin de s’en offusquer, Clayton Blake ne
cessait de la dévisager avec insistance. Cassandra s’en rendit compte et parut
agacée, jusqu’au moment où elle porta brusquement la main à son cou en
pâlissant. Soudain tendue, elle croisa le regard de Clayton et détourna les
yeux. Après cela, le policier prit soin de ne plus tourner la tête dans sa
direction. Le dîner s’écoula laborieusement, Megan s’évertuant tant bien que
mal à ranimer une conversation agonisante. Chacun fut soulagé lorsque la soirée
arriva enfin à son terme. Chacun à l’exception de Jeremy, qui avait pour sa
part passé des heures très agréables à engloutir avec un égal contentement le
potage velouté aux huîtres, la terrine de maquereau, la selle de mouton rôtie
et le parfait au café servi en dessert. L’air repu, il semblait parfaitement
satisfait de son sort, en dépit des mots qu’il avait échangés avec Cassandra la
semaine précédente.
Un
incident vint cependant animer quelque peu cette soirée si ennuyeuse. Alors
qu’ils se levaient de table, un fracas de verre brisé tout proche résonna dans
la maison.
La
vitre de l’une des fenêtres du salon gisait en morceaux sur le tapis ;
elle avait explosé sous l’impact d’une grosse pierre que Cassandra ramassa près
du sofa. Clayton se précipita aussitôt vers la porte d’entrée et sortit dans la
rue à la recherche du coupable. Il revint quelques minutes plus tard,
bredouille.
– Savez-vous
qui a pu commettre cet acte ? demanda-t-il à Cassandra. Vous
connaissez-vous des ennemis ?
– Il
ne s’agit sans doute que d’un gamin qui a voulu faire une plaisanterie,
rétorqua-t-elle sèchement, agacée par cet interrogatoire. Il est inutile
d’accorder la moindre importance à une malheureuse vitre cassée.
– En êtes-vous
certaine ? insista le policier.
– Tout
à fait. L’incident est clos, trancha la jeune femme d’un ton sans réplique.
Ainsi que ce dîner.
Au
moment où il prenait congé, Clayton Blake adressa un dernier regard pénétrant à
Cassandra, qui cette fois le soutint sans fléchir.
– Mrs.
Ward… se contenta-t-il de dire en portant la main à son chapeau.
– Mr. Blake… conclut
Cassandra, tout aussi laconique.
L’inspecteur hocha la
tête puis s’en alla, flanqué de Jeremy.
Cassandra
attendit qu’ils aient disparu dans la nuit avant de claquer la porte derrière
eux.
XXIII
Huit
heures du soir venaient de sonner lorsqu’une voiture aux portières armoriées
s’arrêta dans Queen Ann Street. Julian en descendit, laissa son regard errer
sur le portique à colonnades, l’escalier en marbre et les hautes grilles en fer
forgé ouvragé de la résidence londonienne de ses parents.
Julian
conservait un souvenir cuisant de sa dernière visite à la résidence Westbury.
Trois mois plus tôt, peu après son retour du continent, il
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