Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

regard si dur que la jeune femme, presque
inconsciemment, referma ses doigts sur un couteau posé sur la table.
    –  Je vous ai déjà dit que
je ne retournerai jamais là-bas.
    –  C’est
ridicule. Vous ne pouvez quitter ainsi le manoir sans même savoir où aller.
    Gabriel
ne prit pas la peine de lui répondre. Sans un regard en arrière, il quitta la
pièce. Ses pas résonnèrent le long du couloir puis sur le dallage de pierre du
grand hall. Le battant de la lourde porte d’entrée claqua, et ce fut le
silence.
    La
stupéfaction de Cassandra était telle qu’elle ne tenta pas même de le
rattraper. Quelle mouche avait donc piqué le jeune homme ? Revoir Julian
aurait pourtant dû le combler de joie.
    Cette
énigme la tourmentait encore lorsqu’elle reçut au milieu de l’après-midi un
message de Megan qui la pressait de regagner Baker Street au plus vite.
    Alarmée,
Cassandra tira le cordon de la sonnette pour faire venir Miss Lennox.
    –  Préparez Andrew,
ordonna-t-elle à la gouvernante, nous rentrons à Londres sur-le-champ.
    *
    –  Enfin,
tu es là ! J’ai invité Jeremy à venir souper, annonça Megan aussitôt que
Cassandra eut franchi le seuil de la demeure des Ward.
    La jeune femme s’arrêta
net au milieu de l’entrée.
    –  Un
souper ? Ne me dis pas que tu m’as fait revenir précipitamment pour un
souper ? Et avec Jeremy de surcroît ! Comment as-tu pu me faire une
peur pareille ? J’ai cru qu’il s’était produit un événement grave !
    –  Mais
il y avait bien urgence, rétorqua Megan d’un ton faussement ingénu. Une jeune
fille célibataire ne peut recevoir seule deux hommes, ce ne serait pas
convenable, n’est-ce pas ?
    Elle
aurait pu également dans les motifs d’urgence mentionner son agression par les
Chevaliers, mais elle n’avait pas la moindre intention d’en parler à Cassandra,
de crainte d’être cloîtrée à la maison jusqu’à la fin de ses jours.
    –  Deux hommes ? De
mieux en mieux !
    –  Oui, j’ai également
convié l’inspecteur Clayton Blake.
    Cassandra, qui avait
commencé à dénouer les brides de son chapeau, suspendit son geste. Elle devait
avoir mal entendu.
    –  Qui
as-tu invité ? demanda-t-elle en détachant chaque syllabe.
    –  L’inspecteur
Clayton Blake, répéta Megan sans s’émouvoir. Celui qui enquête sur les meurtres
de la Dame Noire.
    Pour
le coup, Cassandra en perdit momentanément l’usage de la parole.
    –  C’est
un ami de Jeremy, continuait Megan, imperturbable. Avec son métier, il doit
avoir une foule de choses passionnantes à raconter. Pour une fois, nous allons
passer une soirée divertissante.
    Très agitée, Cassandra
se mit à faire les cent pas dans le salon.
    –  Un policier ? Chez
moi ? Serais-tu devenue folle ?
    Elle
essayait de dominer sa voix mais la colère saillait dans chacun de ses mots.
    –  Je
te rappelle que cette maison est la mienne avant d’être la tienne, riposta
Megan. J’ai le droit d’inviter qui me plaît.
    –  Moi
vivante, aucun policier ne pénétrera ici ! J’espère que c’est clair.
    Megan haussa les
épaules.
    –  Oh,
n’exagère pas, je t’en prie. Il ne s’agit que d’un dîner. D’ailleurs, je crains
qu’il ne soit un peu tard pour le décommander. Il va arriver d’une minute à l’autre.
    –  Comment
ça, d’une minute à l’autre ? s’affola Cassandra. Tu ne veux quand même pas
dire… que ce dîner a lieu ce soir ?
    –  Mais si, bien sûr, que
croyais-tu ?
    Un
bref instant, Cassandra éprouva une furieuse envie de la gifler, mais elle se
contint à la pensée de son défunt mari, si généreux et compréhensif. À la
place, elle dit :
    –  Ne devais-tu pas passer
la soirée chez les sœurs Pritchard ?
    –  Je
me soucie peu de voir leurs mines compassées et de participer à leurs stupides parties
de whist, répliqua Megan d’un air dédaigneux.
    –  C’est
fort dommage, cingla Cassandra, excédée. Cela m’aurait évité de subir les
conséquences de ta malheureuse initiative.
    Trois coups puissants
ébranlèrent la porte d’entrée.
    –  Les
voilà ! claironna Megan avec un enthousiasme non dénué de provocation.
    Cassandra
s’empressa de rajuster son chemisier blanc et son boléro, puis lissa sa longue
jupe fauve du plat de la main.
    –  C’est
un simple policier que nous recevons, pas le prince de Galles, inutile de te
mettre en quatre, ironisa Megan.
    Le
domestique qui avait accueilli les