Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
lui annoncer l’arrivée de
lord Ashcroft.
Cassandra
reposa bruyamment sa tasse. Après Gabriel, c’était donc Julian qui surgissait chez
elle sans crier gare. Venait-il s’excuser auprès du jeune homme de son
inqualifiable conduite ? Drapé dans une redingote gris perle, une canne
d’ébène à pommeau biseauté à la main, Julian pénétra dans la pièce d’un pas
altier. Nul sentiment ne se lisait sur son visage, et surtout pas la
culpabilité que s’attendait à y voir Cassandra, mais elle le connaissait
suffisamment pour savoir que son humeur n’était pas au beau fixe.
– Pardonnez-moi
de vous déranger si tard, déclara-t-il, mais j’arrive tout droit de Lynton Hall
pour régler une affaire urgente. Avez-vous eu des nouvelles de votre
sœur ?
Un
peu choquée de le voir se présenter chez elle comme si de rien n’était,
Cassandra secoua la tête.
– Non, aucune.
Puis, croyant bien
faire, elle ajouta :
– Gabriel se trouve dans
la tour si vous voulez le voir.
À
cette nouvelle, l’expression de Julian se ferma instantanément, et sa voix
avait perdu toute chaleur lorsqu’il demanda :
– Gabriel est ici ?
– Certes
oui, confirma Cassandra, désarçonnée. Je pensais que vous le saviez.
N’êtes-vous pas venu pour lui ?
– Grand
Dieu, non ! s’exclama Julian, l’air aussi furieux que si elle l’avait
gravement offensé. Je ne veux surtout pas le voir.
La
jeune femme demeura interloquée. Julian fît un effort visible pour se reprendre
et dissimuler son trouble.
– Ne
parlons plus de lui, reprit-il plus calmement. Je suis ici pour vous entretenir
du parchemin.
– Le parchemin ?
répéta Cassandra, de plus en plus perdue.
– Le
parchemin codé découvert en Russie et qui avait été envoyé en Angleterre à
Aerith – il prononça son nom avec une nuance de dégoût dans la voix –,
dissimulé dans un exemplaire de La Dame de pique. Je pense
que vous vous en souvenez, lança-t-il avec un peu d’impatience.
Sans lui laisser le
temps de répondre, il poursuivit :
– Eh
bien je suis parvenu à le déchiffrer. Le texte mentionne simplement le nom de
trois œuvres : l’autoportrait de Van Eyck, L’Homme au turban rouge, Melencolia d’Albrecht Durer et une toile de Jérôme Bosch appelée L’Adepte. Van Eyck, Albrecht Durer et Jérôme Bosch, trois peintres proches
des milieux alchimiques de leur temps.
– L’Adepte ? Je n’ai jamais
entendu parler d’un tableau de Bosch portant ce nom.
– En
revanche, vous devez bien connaître Melencolia d’Albrecht
Durer, puisque cette œuvre a été dérobée par Artémis il y a sept ans de cela…
Il se racla la gorge
avant de demander :
– Vous l’avez toujours,
n’est-ce pas ?
Cassandra garda le
silence.
– Vous l’avez
toujours ? insista Julian.
– En
effet, concéda la jeune femme à regret, car elle n’aimait guère lever le voile
sur ses anciennes activités.
– J’aimerais
vérifier si l’une des gravures d’Isis dont nous a parlé Aerith y est
dissimulée, continua Julian.
Cassandra se mordit les
lèvres pensivement, puis acquiesça.
– Nous allons très vite en
avoir le cœur net…
Elle
disparut un long moment dans les entrailles du manoir. À son retour, Julian et
elle examinèrent avec un mélange de curiosité et de déférence la gravure sur
cuivre de Durer.
– La
mélancolie est dans la médecine hippocratique l’un des quatre tempéraments,
celui des déshérités, des solitaires, des pessimistes, mais aussi des savants,
des créateurs et des alchimistes, expliqua Julian. Regardez, de nombreux
symboles alchimiques sont représentés dans cette œuvre : l’étendue marine,
la balance, la sphère, l’échelle, le sablier, la pierre équarrie, le creuset
flamboyant, la chienne de Corascène…
Avec
précaution, Cassandra entailla l’envers du cadre de la pointe d’un couteau de
chasse, et entreprit d’en écarter délicatement les bords.
– Il y a quelque chose…
murmura-t-elle.
Lentement,
très lentement, elle retira de sa cache une estampe jaunie qui figurait un
ouroboros entourant un croissant de lune.
– C’est
stupéfiant… Qui a pu la dissimuler dans un tel endroit ? Melencolia date de 1514, et cette gravure semble avoir plusieurs siècles… Où se trouvent
les deux autres tableaux, Julian ?
– J’ignore
où peut être la toile de Bosch, mais L’Homme au turban rouge fait partie de la collection de ma
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