Le livre des ombres
salle du château. Les jurés ont été réunis, et notre amie Mathilda Sempler...
Le mendiant marqua une pause pour ménager son effet.
— ... doit comparaître à la quatrième heure cet après- midi, acheva-t-il.
— Si vite, murmura Kathryn.
— Eh oui, les magistrats sont pressés.
Rawnose humecta ses lèvres gercées et jeta un regard à la dépense, par-dessus son épaule.
— Une liste de turpitudes humaines les attend : incendie volontaire, escroquerie, rapine, vol d'un ciboire dans une église, meurtre au couteau dans une taverne de Swindlestock, viol de vierges, spoliation de veuves...
— Assez, Rawnose, le coupa Kathryn. Thomasina, sers à notre hôte un pichet de bière et des galettes d'orge.
Elle sourit au mendiant qui rassemblait ses haillons avec autant de dignité qu'un juge l'aurait fait avec sa robe.
— Es-tu allé au château?
—
Oui. La Commission d'audition et de jugement1 a déjà commencé sa séance.
— Qu'est-ce que cela veut dire? intervint Agnes.
Kathryn prit avec plaisir la bière que Thomasina lui apportait avant d'expliquer :
—
Les juges d'assise du roi sont à Cantorbéry. Ils vont écouter les délits relevant de la peine de mort, et rendre leur jugement. Cependant, avant qu'un cas leur soit soumis, un des juges préside un tribunal que l'on appelle « audition et jugement », un terme juridique qui veut dire que l'on écoute et que l'on juge si l'on doit donner suite à l'affaire. La pauvre Mathilda va comparaître devant des jurés.
S'ils estiment qu'il s'agit d'un délit, les magistrats la feront passer en procès devant les assises, probablement la semaine prochaine.
Kathryn posa son verre de bière et se frotta le visage. Thomasina s'approcha et lui tapota l'épaule.
—
Vous devriez vous reposer. Vous semblez fatiguée.
Kathryn se leva.
—
Non, Thomasina, quelqu'un doit témoigner pour la vieille Mathilda.
Elle jeta un coup d'œil à la bougie des heures.
—
Il est déjà entre trois et quatre heures. Je vais aller au château.
— Je vous accompagne, proposa la servante.
—
Moi aussi ! s'exclama Wuf, sautillant d'un pied sur l'autre.
Il tira son épée de bois de sa ceinture.
— Je libérerai Mathilda.
Agnes offrit aussi de se rendre au château pendant que Rawnose vidait rapidement sa chope.
Kathryn les regarda.
— Eh bien, venez tous, déclara-t-elle.
Thomasina s'activa à fermer les placards et les portes.
Kathryn se passa un peu d'eau sur le visage, puis ils sortirent dans Ottemelle Lane, pour gagner Wistraet. Ils marchaient vite, fendant la foule de cette fin d'après- midi, évitant les charrettes conduites par des paysans à la mine fatiguée, qui repartaient vers Worthinggate et les villages au-delà après avoir vendu le produit de leur terre.
Un petit attroupement s'était formé devant le portail du château. Les gardes contenaient les gens. Un officier reconnut Kathryn, qui était déjà venue l'année précédente pour enquêter sur la mort du gouverneur6, et on les autorisa à passer en toute liberté dans la cour où un huissier les conduisit dans la grande salle. Tout y avait 6 Cf. L'Œil de Dieu, 10/18, n" 3030.
incroyablement changé depuis la dernière visite de Kathryn. Les murs sales avaient été fraîchement blanchis à la chaux, les grosses poutres peintes en noir, et de précieuses étoffes couvraient les parois, portant les armes de l'Angleterre, ainsi que les insignes personnels de chacun des juges. Les sergents royaux, arborant leurs tabards bleu, rouge et or, formaient un cordon en bas de la salle où se tenait le public. Plus haut, sur une estrade, Kathryn vit le magistrat du roi assis à une longue table, entouré des clercs, des scribes et des conseillers. Sous l'estrade, à droite, était installé le jury composé de bourgeois de Cantorbéry, et, face à l'estrade, on avait placé une longue barre allant d'un mur à l'autre. C'est là que se tenaient les prisonniers pendant que le clerc du magistrat lisait les accusations. Le juge posait alors des questions, auxquelles les jurés répondaient. Durant un moment, Kathryn qui, grâce à la corpulence de Thomasina, avait pu se pousser jusque sur le devant, entendit cette litanie de misères humaines.
Un homme avait mis le feu à une grange. Une putain avait attaqué au couteau un client. Un voleur avait dérobé un ciboire dans une église de la ville. Le cœur de Kathryn se serra : le magistrat ne montrait guère de mansuétude. Ses questions
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