Le livre des ombres
Jourdain, l'énigme a été résolue.
Kathryn pianota sur son bureau. Elle éprouvait du mal à se concentrer, était fatiguée, mal à l'aise, sentait la transpiration couler entre ses deux omoplates. Elle prit un morceau de parchemin et une plume, et traça un plan de la maison de Tenebrae. L'escalier, le cabinet fermé par deux portes que l'on ne pouvait ouvrir que de l'intérieur.
L'escalier et la porte du fond de la maison qui ne s'ouvrait pas de l'extérieur, et que gardait le bavard Bogbean. Kathryn étudia son ébauche de plan.
— C'est impossible, observa-t-elle. Chacun des compagnons de Sir Raymond a rencontré le mage puis est reparti. Tenebrae vivait toujours après leur départ. C'est Morel qui nous l'a dit. Donc quelle est la solution?
Elle se gratta la joue. Tenebrae avait-il été tué avant l'arrivée des pèlerins? Quelqu'un avait-il pris sa place? Dans ce cas, qui ? Foliot ? Kathryn se mordilla la lèvre. Foliot s'était-il déguisé en mage ?
Elle secoua la tête. Ce n'était pas possible, et pour une raison : à un moment ou à un autre, Foliot serait parti et aurait été vu soit par Morel, soit par Bogbean.
Kathryn tapota sa plume sur le bureau, et se maudit en silence parce que de l'encre avait giclé sur ses doigts. Elle prit le morceau de parchemin et y inscrivit le nom de Morel. Le serviteur de feu Tenebrae était-il plus rusé qu'il n'y paraissait? Il assurait avoir parlé à son maître après le départ des pèlerins. Mais disait-il la vérité? Il eût été si simple de frapper à la porte du mage et, une fois celle-ci ouverte, de tirer avec l'arbalète puis de partir. Pourquoi Morel aurait-il agi ainsi ? Il n'avait rien à y gagner. Ou y avait-il au contraire intérêt?
Kathryn se promit de parler de nouveau avec lui.
Puis elle réfléchit à la mort de Fronzac.
— Comment, dit-elle tout bas, quelqu'un a-t-il réussi à pénétrer dans le jardin pour le frapper derrière la tête, puis jeter son corps aux sangliers ?
Elle entendit alors la porte s'ouvrir.
— Helga vous remercie.
Kathryn se tourna : Agnes se tenait dans l'encadrement de la porte, avec Wuf qui sautillait à côté d'elle. Kathryn leur sourit.
— Vous n'avez pas d'autre commission? s'écria le garçonnet. Nous savons très bien les faire, pas vrai, Agnes ?
Kathryn allait secouer la tête, mais elle pensa à la mort de Fronzac et au portail, dans le mur derrière la taverne.
— Justement j'en ai une, s'exclama-t-elle. Agnes, je veux que tu ailles voir le patron du Faucon Crécerelle et que tu lui demandes qui a ouvert le portail dans le mur d'enceinte, derrière son auberge.
— C'est tout ? interrogea Agnes.
— Oui, sourit Kathryn.
— Je peux aller avec elle? s'écria Wuf.
— Oui, et demande à Thomasina qu'elle te donne des massepains. Rendez-vous là-bas directement, cria encore Kathryn alors qu'Agnes et Wuf se ruaient vers la cuisine. Et soyez de retour dans une heure !
Elle les écouta un moment taquiner Thomasina.
Puis ils repassèrent en courant, lui crièrent adieu, et les portes claquèrent. Kathryn prit un nouveau morceau de parchemin et dessina de mémoire les contours de la maison des Talbot ainsi que les étals qui l'entouraient. Mais comme ses yeux se faisaient lourds, elle rangea sa table pour monter dans sa chambre où elle se déshabilla et se lava avec soin à l'aide de son éponge et d'un morceau de précieux savon de Castille. Thomasina avait déjà rempli la cuvette d'eau propre et laissé un broc dans un coin. Une fois lavée, Kathryn se sentit mieux. Elle enfila une chemise de toile et s'assit sur le lit, prêtant l'oreille aux bruits provenant de la cuisine où Thomasina s'activait en fulminant. Malgré sa fatigue,
Kathryn
l'aurait
volontiers
aidée,
cependant elle connaissait sa servante : d'après son père, c'était la meilleure cuisinière de Cantorbéry, mais elle était très dangereuse si on la troublait dans les mystères de sa cuisine.
Kathryn s'allongea sur le lit, fixant les poutres.
Colum ne tarderait pas à rentrer et Rawnose, qui flairait un bon repas à dix lieues à la ronde, serait bientôt là avec tous les racontars qu'il aurait pu glaner. Kathryn se remémora le visage acerbe du juge.
— Il ne condamnera pas la vieille Mathilda, murmura-t-elle.
Elle était certaine d'avoir trouvé une faille dans la thèse d'Isabella Talbot, mais pour le prouver, il lui fallait l'aide de Colum. Quant à Tenebrae, au Livre des ombres et au meurtre de
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