Le livre du cercle
étaient inquiétants, il ne clignait presque jamais des paupières.
— Il
est encore un peu espiègle, ajouta le prince.
Le
regard de Philippe se dirigea vers la porte à double battant. L’homme qui
l’avait fait venir dans cette chambre sombre et confinée en haut de la Tour s’y
trouvait encore. Son visage hideux à la peau grêlée était totalement dépourvu
de la moindre émotion.
— Prince,
puis-je me permettre de vous demander en quoi le spectacle de Pierre de
Pont-Évêque vous intéresse ? osa prudemment Philippe.
— Je
vous ai entendu en parler l’autre soir à la table du roi. Simple curiosité.
Philippe
hocha la tête et se détendit un peu.
-—
On dirait que la réputation de ce troubadour déborde nos frontières. Plusieurs
personnes m’ont déjà posé des questions à son sujet depuis que je suis ici.
Mais j’ai bien peur que mes réponses ne les satisfassent pas entièrement. Je
leur dis qu’il faut voir ce spectacle de ses propres yeux, même s’il peut ne
pas plaire à tout le monde. Il est prévu qu’il fasse une représentation à la
cour à Paris, pour le roi Louis, et j’espérais le revoir à cette occasion. Mais
hélas, il semble que ma présence ici m’en empêchera.
— Parlez-moi
de ce livre, insista Édouard. Vous avez dit qu’il s’intitule Le Livre du
Graal ?
— Oui,
répondit Philippe, il en lit des passages durant son spectacle. C’est de là que
provient le contenu le plus irrévérencieux.
Le
jeune aristocrate leva les épaules pour signifier son indifférence.
— Pour
ma part, je n’y vois pas grand mal. Il ne pense pas tout ce qu’il dit, j’en
suis sûr.
— Et
le livre mentionne les Templiers ?
— Pas
directement. Mais tout le monde sait à qui il fait référence quand il parle
d’hommes en manteaux blancs avec des croix rouges armoriées sur le cœur.
Certains prétendent qu’il a lui-même été un Templier par le passé et que
l’Ordre l’a renvoyé. Ce qui expliquerait comment il connaît le secret de leur
initiation. Non pas qu’ils soient nombreux à s’offusquer du portrait qu’il fait
d’eux durant sa lecture. Beaucoup de gens pensent qu’il est plus que temps de
leur donner une leçon, pour qu’ils apprennent l’humilité. Ils sont d’une fierté
incroyable, ils se croient meilleurs que tout le monde. Pourtant, j’ai bien
souvent entendu des ivrognes s’exclamer, après quelques verres de trop, qu’ils
étaient saouls comme des Templiers. Et leur vœu de chasteté ? La rumeur dit
qu’ils fréquentent autant et aussi souvent que le reste d’entre nous. Ils
s’appellent eux-mêmes les Pauvres Chevaliers du Christ, mais chacun sait qu’ils
sont riches. On dit même qu’ils possèdent autant de fortune que les rois, mais
qu’ils l’enterrent sous leurs églises.
En
entendant ce dernier commentaire, une expression maussade traversa fugacement
le visage d’Édouard. Philippe s’en aperçut et préféra arrêter là ses
explications. Il était de plus en plus déconcerté. A son arrivée à Londres, Philippe
avait trouvé le roi Henri plus vieilli et plus affaibli que dans les souvenirs
qu’il avait gardés de lui lors de ses précédentes visites. Il était usé par la
maladie et les privations endurées au cours de son long emprisonnement. La
rébellion de Simon de Montfort et la bataille de Kenilworth n’avaient pris fin
que récemment. Les têtes des rebelles décoraient encore actuellement le London
Bridge. Philippe avait entendu certaines personnes au palais murmurer qu’en
fait c’était Édouard, et non Henri, qui dirigeait le pays, et qu’il n’avait
contribué à le libérer de la mainmise des dissidents que dans ce but.
Maintenant qu’il avait l’occasion de discuter en tête à tête avec le prince, il
comprenait pourquoi ces rumeurs circulaient.
— Savez-vous
précisément à quelle date le troubadour est censé faire sa représentation à la
cour du roi Louis ? lui demanda Édouard.
— Dans
tout juste deux semaines. Auriez-vous l’intention d’y assister ?
Édouard
jeta un regard à Rook, qui se tenait près de la porte, et un léger sourire
passa sur son visage.
— Un
de mes amis sera probablement présent.
Puis
il se retourna vers l’aristocrate.
— Je
ne vous retiens pas plus longtemps, Philippe. Merci de m’avoir consacré un peu
de votre temps.
Philippe
se leva sans perdre un instant et salua Édouard.
— Tout
le plaisir était pour moi.
Il
fit une nouvelle révérence
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