Le livre du cercle
déconcertaient. Elle ne ressentait
plus aucune excitation.
— Je
suis désolée, dit-elle en se levant. J’abuse de votre temps. Je vais vous
laisser vous préparer pour le spectacle.
— Attendez
! lui lança Pierre au moment où elle allait ouvrir la porte.
Elwen
se retourna avec impatience.
— Ne
partez pas.
Pierre
lui adressa un sourire plein de tristesse.
— Nombreux
au palais sont ceux qui ont recherché ma compagnie depuis mon arrivée : des
dames désirant qu’une poésie les immortalisât, des seigneurs Voulant m’attirer
dans leur maison comme un signe d’opulence. Une nervosité inhabituelle s’est
emparée de moi à l’idée de divertir une telle foule de rapaces dans un endroit
où, il n’y a pas si longtemps, on me méprisait et on me rejetait. Votre
présence et votre intérêt pour mon art sont donc tous deux bienvenus. Je vous
prie de m’excuser pour la manière dont je vous ai répondu à propos de ma
paternité sur ce roman, mais depuis que je voyage, je suis entouré de rumeurs
et d’accusations malveillantes. Et même, je suis pratiquement certain qu’on me
pourchasse.
— Qu’on
vous pourchasse ? fit semblant de s’étonner Elwen.
Everard
l’avait informée qu’il avait envoyé quelqu’un aux trousses du troubadour.
— Plusieurs
aubergistes chez qui j’ai fait halte durant mon séjour dans le Sud m’ont appris
qu’un homme posait des questions à mon sujet. Où j’avais dormi, quand j’étais
parti, ce genre-là. Un étranger, m’a-t-on dit.
— Peut-être
voulait-il simplement voir votre spectacle ?
— Peut-être,
concéda Pierre, apparemment peu convaincu par cette explication. Je l’ai semé
en restant quelques semaines chez un ami à Blois.
D’une
main, il désigna à Elwen le banc près de la fenêtre.
— Voulez-vous
vous asseoir, madame ?
Elwen
hésita, puis s’approcha de la fenêtre avec un regain d’assurance. Elle venait
d’avoir une idée.
— Auriez-vous
la gentillesse de me prêter une de vos couvertures ? Je suis trempée.
— Bien
entendu, répondit galamment Pierre.
Il
tira du lit la couverture et l’enroula délicatement autour de ses épaules.
Elwen
s’en enveloppa du mieux possible et ôta son bonnet trempé. Elle secoua ses
cheveux et remarqua la manière dont Pierre observait ses boucles se répandre
sur ses épaules. Elle avait souvent vu des hommes la regarder de cette manière
: des marchands, sur les marchés ; des gardes, dans les couloirs du palais ;
Will, avant qu’il ne se sente obligé de réprimer ses sentiments. Tous avaient
ce même air concupiscent. Elle aimait sentir ces regards sur elle. Ils lui donnaient
le sentiment d’être inaccessible, et en même temps elle désirait être conquise.
Quand elle voyait ce regard, elle savait que pour une fois dans ce monde dominé
par les hommes, c’était elle qui détenait le pouvoir.
Elle
sourit et s’assit plus près de Pierre cette fois, le corps tourné dans sa
direction.
— Vous
me racontiez tout à l’heure comment vous cherchez l’inspiration pour votre
œuvre. J’aimerais que vous m’en disiez davantage.
— Oui,
fit Pierre, mon œuvre...
Dans
son regard éteint s’alluma une nouvelle lueur. Il alla vers le lit et s’empara du
sac en tissu qui s’y trouvait. Il en sortit un livre relié en vélin et un
rouleau de parchemin. Elwen reconnut le livre qu’il tenait entre ses mains, il
correspondait à la description que lui en avait faite Everard.
— Voici
mon œuvre, dit Pierre en s’asseyant à côté d’elle et en posant Le Livre du
Graal entre eux.
Mais
c’est le rouleau de parchemin qu’il lui tendait.
— Celle-là
est de moi.
Elwen
se força à détourner les yeux du livre et à prendre le rouleau. Elle lut les
premiers mots, écrits d’une main délicate. Il s’agissait d’un poème dédié à une
femme, une certaine Catherine. Une sensualité profonde émanait des quelques
vers qu’elle lut.
— Votre
travail est très... passionné, dit-elle en lui rendant le parchemin.
Elle
se sentit rougir.
— Je
veux rendre sa voix à la passion, dit Pierre d’un air abattu. Fut un temps où
les poètes, par exemple ceux dont vous avez lu les œuvres, écrivaient avec
passion. Ils parlaient de l’amour, de ses progrès lents et délicieusement
douloureux, de l’angoisse de l’attente, des plaisirs du cœur et des jouissances
de la chair. Mais l’amour courtois n’a rien à voir avec cela. Aujourd’hui, les
poètes ne parlent que
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