Le livre du cercle

S’il n’y arrivait pas, Rook et
Édouard feraient en sorte que sa vie soit un calvaire.
     
    En
arrivant à la cellule d’Everard, Will poussa la porte sans frapper et entra. Il
tenait à la main la robe du prêtre. Après avoir rencontré Elwen, il s’était
rendu comme prévu à la draperie pour y récupérer le vêtement rapiécé. Il
voulait avoir quelques minutes pour réfléchir et se calmer avant de se trouver
face à face avec le prêtre. Mais ça n’avait pas suffi, sa colère n’avait fait
qu’augmenter à mesure qu’il s’approchait de la cellule. Un nœud inextricable et
aussi dur qu’une pierre remplissait maintenant tout son estomac.
    La
porte heurta violemment le mur et Everard leva les yeux avec étonnement. Will
ne l’avait vu ni aux matines, ni à prime. Juché sur le rebord de la fenêtre,
les yeux perdus dans la tapisserie, le prêtre était pâle comme la mort. Il
donnait l’impression de n’avoir pas fermé l’œil de la nuit.
    Will
jeta le manteau noir par terre, aux pieds de son maître.
    — Comment
un homme qui n’est au service que de lui-même peut-il porter ce vêtement?
    — Qu’est-ce
que ça signifie ? demanda Everard d’une voix à la fois indignée et curieuse.
    — A
vous de me le dire.
    — De
quoi...
    — Je
viens de voir Elwen, le coupa Will. Vous savez ce qu’elle m’a raconté?
    — Elwen?
murmura le prêtre en se levant péniblement. Où est-elle ?
    Will
perçut l’angoisse d’Everard et en fut légèrement décontenancé. Mais il continua
tout de même.
    — Elle
m’a expliqué ce que vous lui avez demandé de faire. Voler un livre à ce troubadour
dont tout le monde parle.
    — Est-ce
qu’elle vous a dit si elle l’a pris ? A-t-elle parlé de Hasan ?
    — Hasan
est mort.
    En
voyant la douleur se peindre sur le visage du prêtre, Will regretta
immédiatement d’avoir prononcé ces mots sans faire preuve d’aucune sensibilité.
    — Comment?
    — Hasan
est mort, répéta-t-il plus posément. En tout cas, c’est ce qu’elle pense. La
garde royale a découvert le corps d’un Sarrasin assassiné hier soir en ville.
    Everard
resta pétrifié pendant quelques longues secondes, puis il marcha, hébété,
jusqu’à sa paillasse où il s’écroula lourdement. Il avait du mal à respirer.
    — Non,
murmura-t-il. Mon Dieu, non !
    Will
sentit la rage en lui refluer tant le prêtre semblait en proie à l’horreur. Il
alla vers la table où Everard avait toujours une cruche de vin et en remplit
une coupe, qu’il tendit au prêtre. Celui-ci s’en saisit d’une main tremblante.
Après avoir bu plusieurs gorgées, il appuya la tête contre le mur et essaya de
calmer sa respiration. Chaque inspiration était accompagnée d’un sifflement
désagréable.
    — Assieds-toi,
finit-il par dire en désignant un tabouret.
    — Je
préfère rester debout.
    Ils
demeurèrent un moment dans un silence complet, troublé uniquement par le bruit
du vent qui passait par la fenêtre et soulevait de temps à autre la tapisserie.
    Everard
regarda Will.
    — Et
le livre ? demanda-t-il au bout d’une minute. L’a-t-elle donné à Hasan?
    — Qu’est-ce
que ce livre a de si important, de toute façon? rétorqua Will en sentant sa
colère revenir. Pourquoi diable êtes-vous allé voir la femme que je...
    Will
s’arrêta.
    — Pourquoi
avez-vous ordonné à Elwen de le voler ? reprit-il.
    — Je
n’avais pas le choix.
    — Rien
ne vous y obligeait. Vous auriez pu me demander. J’aurais préféré ça plutôt que
de la mettre en danger. Tout ça pour un de vos précieux textes?
    — Tu
n’aurais pas pu t’en emparer, répondit Everard.
    Malgré
l’épuisement, son visage montrait des signes d’irritation.
    — Elle
était la seule à pouvoir s’approcher assez du troubadour sans éveiller les
soupçons. Raconte-moi tout, sergent. Répète-moi tout ce qu’elle t’a dit.
    — Je
devrais aller vous dénoncer au visiteur. Vous n’aviez pas le droit de demander
ça à Elwen.
    Everard
plissa les yeux.
    — Souviens-toi
que les menaces en l’air ne m’impressionnent guère.
    — Ce
n’est pas une menace en l’air.
    — Tu
n’as aucune idée de ce qui est en jeu ! vociféra le prêtre d’un ton glacial.
    Will
voulut répondre, mais il se contenta de secouer la tête.
    — Je
ne sais pas ce que je fais ici. Ce n’est pas comme si vous alliez me présenter
des excuses ou m’expliquer de quoi il s’agit, n’est-ce pas ?
    Il
se dirigea vers la porte.
    —