Le livre du cercle
à ces assauts
d’attention déférente. Il aurait préféré s’habiller lui-même, mais en tant que
sultan, il devait se soumettre à cette coutume. Les mains des domestiques
s’agitaient en tous sens autour de son corps et de sa tête, aussi légères et
rapides que des papillons. Ils le peignirent avec soin, lui taillèrent la barbe
et le massèrent. Après l’avoir revêtu d’une tunique en soie blanche, de
chausses et de bottes en cuir fraîchement cirées, ils lui passèrent la cape sur
les épaules. On avait brodé sur deux rubans cousus à ses avant-bras son nom et
son titre. L’un des eunuques lui tendit un miroir. Baybars s’étudia dans le
métal poli. Le reflet lui présentait un homme grand et athlétique au visage
brûlé par le soleil, avec des traits durs, un menton saillant, des yeux ayant
connu autant de défaites que de triomphes, et des mains puissantes et calleuses
aux veines apparentes. Malgré le raffinement de sa parure, il restait un
guerrier. Rassuré, il se détendit quelque peu.
— Seigneur.
Baybars
se détourna du miroir et vit s’approcher
Omar,
habillé d’une cape dorée, les cheveux et la barbe parfumés. Omar s’inclina.
— La
salle du trône est prête. Dois-je faire venir les généraux ?
— Non,
dit Baybars après un instant de réflexion.
Il
posa la main sur l’épaule de son camarade.
— Marche
un peu à mes côtés, veux-tu.
— Bien
sûr, dit Omar, à la fois surpris et ravi.
Baybars
guida son ami à travers de larges corridors, le fit passer devant les chambres
des conseillers et des officiers et traverser des salles de réception où les
généraux, les soldats et les esclaves présents délaissaient ce qu’ils étaient
en train de faire pour s’incliner sur leur passage. Ils arrivèrent bientôt à
une arcade débouchant sur une cour entourée de balcons ombragés. Depuis la
fontaine dressée en son centre, l’eau courait à travers une série de canaux
creusés dans le sol. Avec ses arbres élancés, ses plantes luxuriantes et ses
fleurs aux fragrances enchanteresses, c’était un havre de verdure et de paix.
Par-dessus le murmure de l’eau se faisait entendre le pépiement des oiseaux de
la volière. Baybars s’arrêta près de celle-ci et saisit une poignée de graines
dans la mangeoire, qu’il jeta à l’intérieur.
— Né
trouves-tu pas cette citadelle impressionnante, Omar ? dit-il en regardant les
oiseaux décoller de leurs perchoirs.
— Je
l’ai toujours pensé, seigneur.
Baybars
sourit.
— Je
préfère que tu ne m’appelles pas ainsi, du moins quand nous sommes seuls.
Seigneur me paraît formel de la part de quelqu’un qui me connaît depuis si
longtemps.
Omar
lui rendit son sourire.
— Néanmoins,
continua Baybars, elle est loin d’être aussi sublime que la citadelle que s’est
fait construire Saladin au Caire. Il ne voulait pas seulement en faire le siège
de son pouvoir, elle en était le symbole. Moi aussi, je veux construire quelque
chose qui exprime ma puissance.
Omar
remarqua que les yeux de Baybars semblaient perdus dans le lointain.
— Quelque
chose qui accompagnera les hommes jusqu’à la fin des temps.
— Tu
as déjà beaucoup construit. Tu as fortifié Le Caire, créé des hôpitaux et des
écoles et...
— Ce
n’est pas de ça que je parle, le coupa Baybars.
Il
se détourna de la volière et gravit quelques marches menant, derrière les
balcons, à une promenade qui offrait une vue sur tout Alep. Quand ils y furent,
Baybars s’appuya des deux mains sur le parapet.
— Je
suis allé en ville ce matin.
— Seul
? Tu devrais être plus prudent.
— Sais-tu
ce que j’ai vu ? demanda Baybars en se tournant vers lui. J’ai vu des soldats
ivres à cause du vin d’Occident, des marchands négociant de la laine et du vin,
et des livres écrits en latin. Dans les rues, les femmes de l’Ouest se
prostituent à nos hommes. Saladin était un dirigeant d’une habileté suprême, je
ne peux le nier. Il savait gagner des batailles en unifiant le peuple derrière
lui. Mais Saladin a échoué. Nos terres sont toujours infestées.
— La
mort empêche tous les hommes de mener leur action à leur terme.
— Ce
n’est pas la mort qui l’a empêché de nous débarrasser de nos ennemis. Saladin
acceptait de parlementer, de négocier les redditions, et ne tuait que quand
c’était absolument nécessaire. C’est parce qu’il était trop clément que nous ne
sommes pas libres. Saladin était l’épée,
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