Le livre du cercle
William.
La
main sur la poignée, Will se retourna. Everard semblait tourmenté, son front
était plissé et une ride profonde s’était dessinée au-dessus de ses sourcils.
Sa lèvre supérieure était légèrement retournée là où la cicatrice .commençait.
Will scruta le visage du prêtre, mais sans parvenir à déceler pourquoi, pour la
première fois en six ans à son service, celui-ci l’avait appelé par son nom de
baptême.
— Ne
pars pas, dit Everard. Je vais tout te raconter.
Chapitre 25
Alep, Syrie
2 novembre 1266 après
J.-C.
Baybars
se tenait devant la grande fenêtre cintrée. Le vent du désert chauffait sa
peau. Il venait de sortir du bain et ses cheveux encore humides pendaient sur
ses épaules. La brise apportait avec elle la senteur de la fumée et des épices,
ainsi que l’odeur âcre du fumier venant du marché aux chevaux. A ses pieds,
jusqu’aux murs massifs entourant la citadelle, s’étendait la cité d’Alep, joyau
de la couronne syrienne. Dans le soleil couchant, les dômes blancs des mosquées
et des madrasas prenaient une teinte dorée et les sommets des minarets
brillaient comme des phares. Dans un coin poussiéreux de la citadelle se
déroulait un jeu de balle. De cette distance, les hommes à cheval paraissaient
tout petits. Baybars adorait ce sport parce qu’il exigeait vitesse et férocité.
Et aussi parce qu’il était l’un des meilleurs à ce jeu.
Il
regarda un moment la partie, puis retourna dans ses quartiers où régnait une
fraîcheur agréable. Les pièces spacieuses étaient agencées sans ostentation,
leur grandeur se manifestait davantage par leur construction que par leur
ameublement. Des colonnes de marbre rouge et noir s’élevaient vers les dorures
du plafond et les murs étaient garnis de panneaux de bois marquetés de nacre.
Des motifs sculptés dans le stuc ornaient les voûtes et des tapis jonchaient le
sol en mosaïque.
Baybars
s’approcha d’un guéridon en marbre sur lequel étaient posées une cruche et une
coupe incrustées de joyaux. Il se versa du koumys et s’assit sur une couche
matelassée. Mais à peine eut-il vidé la coupe qu’il se releva.
Depuis
la victoire de .Safed, il se sentait frustré par la lenteur de sa campagne
contre les Francs. Les chrétiens n’étaient probablement pas du même avis, lui
avait signalé Kalawun. Après Safed, il n’avait fallu que quelques jours à
Baybars pour faire tomber une deuxième forteresse. Une semaine plus tard, il
avait détruit un village dont les habitants chrétiens, lui avait-on appris,
rapportaient les mouvements de son armée aux Francs basés en Acre. Après quoi
il avait conduit ses troupes le long de la côte pour faire étalage de sa
puissance. Ils avaient tué tous les chrétiens qu’ils croisaient en chemin. Et
encore, ce n’était rien en comparaison de ce qu’ils avaient accompli en
Cilicie. Pendant que Baybars attaquait les Templiers à Safed, Kalawun, qu’il
avait nommé commandant des troupes syriennes, avait dirigé la moitié de l’armée
vers le nord, contre les chrétiens d’Arménie. Ils avaient franchi les montagnes
pour prendre l’ennemi à revers et avaient dévasté leur royaume. Laissant dans
leur sillage des villes en ruine, ils étaient revenus à Alep un mois plus tôt
avec des chariots remplis d’or et quarante mille esclaves.
Mais
depuis lors, plus rien.
Baybars
était rongé par l’impatience. Tandis que ses officiers et ses soldats goûtaient
un peu de repos, il organisait des réunions avec les généraux des différents
régiments, rencontrait ses alliés et passait des heures à dresser les plans de
sa prochaine campagne contre les Francs. Ses généraux étaient si satisfaits de
leurs victoires de l’été qu’ils n’étaient guère motivés pour se battre de
nouveau. Cependant, Baybars demeurait insatiable. C’est pourquoi il avait
convoqué un conseil le soir même.
Il
se retourna en entendant des pas s’approcher. Par la porte au-dessus de
laquelle était gravé II n’y a de Dieu que Dieu, et Mohamed est Son Prophète ,
entra une poignée d’eunuques. Sur leurs plateaux étaient disposés des peignes,
des couteaux et des huiles. L’un d’entre eux tenait la cape d’or jaune et le
turban de Baybars.
— Seigneur,
nous venons vous habiller.
— Je
le vois bien.
Les
yeux fermés, Baybars attendit pendant que les eunuques s’empressaient autour de
lui. Au bout de six ans, il n’était toujours pas accoutumé
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