Le livre du cercle
surviennent, je ne mettrai pas en danger notre Ordre en poursuivant
le plan de mon prédécesseur, aussi démoniaque que soit effectivement ce livre.
Pour l’heure, nous devons nous concentrer sur cette guerre. Nous devons la
gagner. Alors seulement, quand nous serons en situation de le faire, nous
frapperons.
Revel
prit le livre et se leva.
— Sauf
contrordre, vous en avez fini avec cette affaire.
Il
s’approcha d’un coffre en acier encastré dans le mur, derrière le divan. Tirant
une clé du trousseau qui pendait à sa ceinture, il le déverrouilla et déposa le
livre sur une étagère.
— Dans
les mois qui viennent, les citoyens d’Outre-mer auront grandement besoin de
nous, ajouta Revel en hochant la tête à l’intention de Nicolas. Vous pouvez
disposer, frère.
Nicolas
se leva et salua le grand maître. Puis il pivota et quitta la pièce. Dans le
couloir qu’il emprunta pour sortir, de grandes fenêtres cintrées offraient un
point de vue somptueux sur la ville. Les yeux de Nicolas survolèrent les tours,
les églises et les places de marché, avant de se poser sur la baie. Six navires
de guerre du Temple, environnés par une multitude de vaisseaux plus petits,
étaient sur le point d’entrer au port.
Le Faucon, la baie
d’Acre,
18 janvier 1268
après J.-C.
La
foule se pressait sur les ponts des bateaux : sergents, chevaliers, pèlerins,
marchands, chacun essayait d’apercevoir la ville qui prenait progressivement
forme à l’horizon. Au nord et au sud se trouvaient des montagnes surplombées
par un ciel noir et nuageux. À l’arrière-plan s’étirait, depuis les hautes
murailles de la ville jusqu’aux lointaines collines, une étendue vide de terre
jaune sablonneuse. A mesure que la flotte approchait, la foule attroupée sur le
pont discernait de plus en plus nettement la plaine aride, ses champs, ses
quelques vergers et les collines traversées de rivières aux reflets bleus.
Quelques-uns tombèrent à genoux devant cette vision. Ils arrivaient enfin en
Palestine, en Terre sainte, là où le Christ était né.
A
bord du Faucon, qui avec ses quarante mètres était le plus long des navires,
Will se tenait sur la hune, accoudé au bastingage. En contrebas, le bateau
s’enfonçait vertigineusement dans l’eau tandis que devant lui, l’éperon en
bronze prolongé par le beaupré se dressait comme un poing. Le pont à deux
niveaux de la proue abritait aussi le trébuchet du navire : une arme semblable
aux mangonneaux, sauf qu’elle était plus précise et que les pierres étaient
projetées par une fronde au lieu d’un madrier. Comme ils étaient maintenant
dans des eaux sans danger, le trébuchet n’était pas chargé et sa fronde
pendait, oscillant au gré du roulis. Ils ne l’avaient armé qu’en franchissant
le détroit de Gibraltar. Sa présence les avait réconfortés quand ils avaient vu
apparaître au large de Grenade les premiers bateaux sarrasins. Mais les six
navires de guerre templiers, reconnaissables à la croix rouge sur leur
grand-voile, avaient eu un effet suffisamment dissuasif.
Une
cloche sonna, convoquant les rameurs à leur banc, et Will se détourna des
bandes de terre à l’horizon pour observer la foule s’agiter sur le bateau, sa
maison depuis huit mois.
Le
Faucon - avec ses cinq vaisseaux frères - était parti de La Rochelle début
juin, l’année précédente. Aux côtés des lourds navires de guerre voguaient
quatre huissiers - des vaisseaux difficiles à manœuvrer car chargés de chevaux,
de charrettes et d’engins de siège -, ainsi qu’une barge du Temple transportant
bottes de foin et tissus destinés au commerce en Outremer. Le ciel et la mer
s’étaient peu à peu assombris tandis qu’ils traversaient le golfe de Gascogne
et les bateaux avaient tangué comme des hommes ivres sur les énormes vagues vertes,
tant et si bien qu’un des huissiers, pris en étau entre deux tempêtes, avait
fini par sombrer. Bringuebalé sur sa paillasse, Will avait été réveillé par le
fracas du bois se brisant. Avec Simon et une poignée d’hommes à moitié
endormis, il avait grimpé à la hâte jusqu’au pont, où il avait constaté que le
grand mât s’était cassé en deux et avait défoncé le pont de l’huissier en
s’écrasant. Agrippés au bord du navire de guerre que le roulis agitait et
faisait craquer, le visage fouetté par la pluie et le sel, ils avaient assisté,
impuissants, au naufrage des hommes et des chevaux
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