Le livre du cercle
écoute.
Les
deux hommes quittèrent la chapelle et traversèrent l’enceinte intérieure plongée
dans une obscurité complète. La chapelle, les celliers et les citernes qui
occupaient l’espace central avaient l’air moins hauts en raison des murailles
de pierre qui les entouraient. A un bout de l’enceinte se trouvait le donjon
massif qui accueillait les quartiers des chevaliers, des prêtres et des
sergents. À ses côtés, le long de l’enceinte, des tours hébergeaient
l’infirmerie, l’armurerie, la draperie et les cuisines.
Les
deux chevaliers marchaient rapidement en direction d’une poterne située à la
base de la muraille. Affaibli par la distance, le son des marteaux leur
parvenait depuis l’enceinte extérieure. En passant près de l’infirmerie, ils
entendirent également des gémissements plaintifs. Une fois franchie la poterne,
ils empruntèrent un passage nauséabond qui traversait le mur de presque quatre
mètres d’épaisseur. Par une ouverture grillagée dans le plafond, la lumière
ténue d’une torche leur éclairait le chemin. Au-dessus se trouvait la galerie
depuis laquelle on pouvait verser, au besoin, de l’huile bouillante. Au bout du
passage, Mattius ouvrit une porte et franchit le seuil. Les gardes affectés à
la poterne se retournèrent en mettant la main sur la poignée de leurs armes,
mais ils se calmèrent immédiatement en reconnaissant les deux chevaliers.
— Content
de voir que vous n’êtes pas endormis, commenta Mattius en fermant la porte,
renforcée à l’extérieur par des plaques d’acier.
Puis
il tapa dans le dos d’un des gardes, ce qui le surprit et le fit trébucher.
— Mais
je ne pense pas que le danger viendra de l’intérieur, ajouta-t-il d’un ton
moqueur.
— Il
se pourrait fort bien que tu te trompes, Mattius. C’est de l’intérieur que
tombent la plupart des forteresses, fit James.
Mattius
poussa un grognement et le suivit à travers des passages étroits bordés de
bâtiments et des espaces plus larges remplis de gens dormant autour de feux de
camp, au pied des tours. Une odeur puissante de fumier, pas désagréable mais
légèrement écœurante, s’élevait des enclos et des étables où l’on avait parqué
les animaux. Par-dessus les appels des gardes, le murmure des habitants qui
s’éveillaient et les hennissements des chevaux, retentissait l’omniprésent
vacarme des maçons réparant à coups de marteaux la barbacane. Les tourelles
étaient reliées entre elles par des chemins de ronde où se pressaient archers
et mangonneaux. Les langues jaunes des torches projetaient sur les remparts les
ombres vacillantes des hommes. En temps de paix comme pendant les sièges,
l’enceinte extérieure servait de caserne pour les soldats et les domestiques.
Si l’ennemi transperçait la muraille extérieure, les défenseurs de la
forteresse pourraient déverser sur lui un déluge de liquides bouillants, de
pierres et de flèches. La garnison se réfugierait dans la première enceinte et
transformerait Safed en forteresse à l’intérieur de la forteresse : c’était
l’un des domaines les plus imprenables des croisés en Outremer. La fierté du
Temple.
Tout
en marchant, le regard de James papillonnait d’un groupe à l’autre. Sur leur
passage, une partie des troupes levait les yeux vers eux avec une expression
d’espoir mêlé de crainte. Outre les chevaliers, les sergents et les
domestiques, Safed accueillait une garnison de mille six cents soldats
chrétiens de Syrie, des mercenaires légèrement armés recrutés pour renforcer la
défense de la forteresse. James évaluait leur nombre. Il avait abandonné sa
plume à Londres, mais les années passées à tenir des registres à Balantrodoch
exerçaient encore leur influence sur lui et il continuait à observer le monde
selon les critères binaires, positif ou négatif, des livres de compte. Tout
s’envisageait en fonction des chiffres, de leur manière de s’équilibrer. Tant
de provisions pouvaient nourrir tant de personnes pendant tant de temps : plus
il y avait de bouches à nourrir, plus la durée était courte. Il est vrai que
les réserves d’eau et de nourriture étaient loin d’être épuisées pour le
moment. Mais personne ne pouvait dire pendant combien de temps ils seraient
assiégés ici, sans pouvoir sortir de Safed ni envoyer un message pour demander
des renforts. Les sièges pouvaient durer des mois.
— Ils
auraient au moins pu amener quelque chose
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