Le livre du cercle
d’utile, grommela Mattius en
regardant un homme et une femme avec trois enfants squelettiques qui
partageaient une couverture près d’un feu.
James
suivit son regard et ses yeux tombèrent sur un petit entassement de marmites et
de casseroles posées à même le sol, à côté de la famille. Dans son sommeil,
l’homme gardait sa main posée sur le monticule, comme s’il craignait que
quelqu’un ne les lui vole. James imagina la scène : une ferme en brique, perdue
au milieu des pâturages. En entendant le grondement lointain des sabots et en
voyant approcher les étendards, ils avaient attrapé marmites et casseroles sur
une étagère avant de prendre la fuite à travers champs, la mère portant le plus
jeune dans ses bras, le père jetant sans cesse des regards angoissés derrière
lui.
— Après
la bataille de Mansourah, répondit James, quand les forces égyptiennes ont
dévasté le camp de Louis, le frère du roi a été sauvé par des cuisiniers
brandissant des poêlons. Presque tout peut servir d’arme.
La
mâchoire de Mattius se contracta tandis qu’il levait les yeux vers le ciel, à
la recherche de l’inspiration.
— Une
plume ?
James
sourit légèrement. Une lueur d’amusement passa dans ses yeux et ses traits
s’adoucirent, le faisant paraître plus jeune de quelques années.
— Évidemment.
Avec une plume, tu peux signer l’arrêt de mort d’un homme, rédiger des textes
de loi ou des édits, et même déclarer des guerres.
Ils
montèrent une volée de marches étroites menant aux remparts.
— Je
pensais à quelque chose d’un peu plus adapté à notre situation actuelle,
répondit Mattius tandis qu’ils dépassaient une rangée d’archers agenouillés le
long des meurtrières qui perçaient le mur à intervalles réguliers.
— Je
suppose, répliqua James, ravi de leur joute verbale, que la pointe d’une plume
est assez solide pour aveugler un homme.
— Et
une fleur, alors ?
James
ouvrait la bouche avec une repartie toute prête à lancer, quand son regard
tomba sur un groupe de jeunes gens qui se tenaient un peu plus loin sur le
chemin de ronde. Les cinq sergents templiers avaient été affectés à la garnison
de Safed deux mois plus tôt. Ils arrivaient tout droit d’Acre, où on les avait
entraînés. Il les vit se redresser sur leur passage. La lumière des torches
éclaira leurs visages imberbes et pâles.
— Dieu
Tout-Puissant, Mattius, ils sont plus jeunes que mon fils.
Mattius
nota que le visage de son ami était soudain devenu grave, toute trace d’humour
ayant disparu.
— Comment
va-t-il ? demanda-t-il avec jovialité. Ne t’a-t-il pas annoncé, dans sa
dernière lettre, qu’il a prononcé ses vœux ?
Mattius
connaissait déjà la réponse puisque James lui avait lu la lettre dès qu’elle
était arrivée. James le savait bien mais il apprécia la tentative que faisait
son camarade pour lui changer les idées.
— William
va bien, frère. Oui, il est désormais chevalier. J’étais inquiet pour lui quand
j’ai eu des nouvelles à l’époque où j’étais en Acre. La mort de son maître,
Owein, était un coup dur et il avait l’air perdu et malheureux à Paris. Mais il
a visiblement trouvé un certain équilibre et son maître, Everard, lui a
semble-t-il beaucoup appris. Son écriture est meilleure que la mienne.
— Pas
étonnant avec ce vieil érudit, fit Mattius en souriant.
— J’aurais
aimé être là pour ses débuts. J’ai l’impression que cela fait une éternité que
je ne l’ai pas vu.
— Tu
le reverras bien assez tôt. Quand l’Occident saura ce qui nous arrive, ton fils
viendra avec une armée pour combattre à nos côtés.
James
se retourna pour jeter un coup d’œil aux sergents.
— Et
nous aurons beaucoup de choses à discuter.
Après
avoir prononcé ces mots, James sombra dans le silence jusqu’à ce qu’ils
atteignent une tour dans le coin des remparts.
Il
avait été fou de joie en recevant la lettre de Will l’informant qu’il avait
reçu la robe, mais la joie avait bientôt été mêlée au regret et à la jalousie.
En un sens, il éprouvait bien sûr une reconnaissance infinie envers Everard,
qui s’était occupé de son fils. Quand Jacques de Lyons, impressionné par son
habileté pour la diplomatie et sa connaissance de l’arabe, avait décidé de le
faire entrer dans l’Anima Templi, James n’avait rencontré Everard qu’une fois
avant que celui-ci ne lui demande de remplir une mission en Orient.
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