Le livre du cercle

À ce moment-là,
James avait été submergé par l’excitation : la mission qu’on lui confiait était
vitale pour les desseins de l’Anima Templi, auxquels il croyait du plus profond
de son être, et il pensait avoir une chance de la mener à bien. Il avait
accepté à la condition qu’Everard garde un œil sur Will et que son fils ne
reste pas sans protection au cas où quelque chose lui arriverait. Mais bien
qu’il fût content que le prêtre ait pris le garçon sous son aile après la mort
d’Owein, il déplorait de n’avoir pas pu l’élever lui-même et de n’avoir pas été
là pour son initiation.
    Ces
dernières semaines, Will avait été de plus en plus présent dans ses pensées.
Peut-être parce qu’il pouvait craindre aujourd’hui de ne jamais le revoir, de
ne jamais plus l’étreindre, ou de ne pouvoir lui dire à quel point il était
désolé d’être parti sans un mot d’explication. Lorsqu’il s’était tenu prêt au
départ sur les quais de la commanderie du Nouveau Temple, James n’avait eu
qu’une envie : prendre son fils désemparé dans ses bras et lui dire qu’il ne le
blâmait plus pour la mort de Mary, qu’il devait partir pour faire quelque chose
d’important, quelque chose qui pourrait changer le monde. Mais il n’avait été
capable que de serrer sa main dans la sienne.
    Alors
qu’ils approchaient de la tour d’angle, James observa le colosse qui marchait à
ses côtés. Mattius avait été un véritable ami pour lui ces dernières années,
mais il ne savait rien de la raison pour laquelle il était en Terre sainte, ou
de ce qu’il faisait en plus de ses obligations pour le Temple lors de ses
diverses affectations dans des garnisons comme Safed. Il arrivait parfois à
James d’éprouver une solitude si pesante qu’elle aurait pu l’écraser. Ses
filles lui manquaient, avec l’odeur de leurs cheveux et leurs rires joyeux. Tout
comme la chaleur du corps de sa femme contre le sien. Il aurait aimé que son
fils soit là, bien sûr, pour lui apporter le réconfort dont il ressentait
cruellement le besoin. Dans ces moments-là, il lui fallait se souvenir que le
plus important n’était pas sa famille, ni ses amis, ni même son devoir envers
le Temple, mais sa mission. C’est pour eux, se disait-il, qu’il
l’accomplissait.
    James
franchit l’entrée de la poterne à la base de la tour et s’y engouffra avec
Mattius, puis ils commencèrent à gravir l’escalier en colimaçon. Un vent
glacial tourbillonnait en leur envoyant de la poussière dans les yeux. Au fur
et à mesure de leur ascension, le vent devenait de plus en plus fort, à
l’instar de la lueur des torches. Parvenus en haut, ils émergèrent par un trou
sur le toit crénelé de la tour. Le ciel commençait à s’illuminer, les étoiles
déclinaient en prenant une teinte bleu turquoise. Un homme petit et trapu, au
visage tanné, se retourna quand ils arrivèrent. Avec lui se trouvaient huit
autres Templiers, deux sergents et le capitaine des soldats syriens.
    — Bonjour,
frères.
    James
s’inclina.
    — Commandeur.
    — J’espère
que vous avez bien dormi, la journée pourrait être longue.
    — Mattius
m’a informé de la possibilité d’un assaut, maître.
    Le
commandeur se dirigea vers le parapet.
    — Venez
voir par vous-même.
    James
le suivit et regarda à l’extérieur. Safed était situé sur une grande colline
rocheuse et escarpée, offrant ainsi un avantage stratégique sur toutes les
terres environnantes. La forteresse faisait partie des castelets des croisés
dans la vallée du Jourdain. Située sur la route de Damas en Acre, elle
permettait d’observer au sud jusqu’au gué de Jacob, et vers le nord par-delà la
rivière du Jourdain. De jour, on pouvait contempler l’étendue des collines et des
pâturages ainsi que les villages sous sa domination. À une petite dizaine de
kilomètres au sud, le Jourdain se déversait dans la mer de Galilée et les
champs s’élevaient soudain en montagnes de granit rose. Malgré l’obscurité,
James vit l’immense armée mamelouke couvrir tout l’espace au pied de la
forteresse. Des milliers de torches brûlaient en projetant un halo digne de
l’enfer sur le campement où s’entassaient tentes, chariots, chevaux, chameaux
et bannières agitées par le vent. À certains endroits, l’éclairage permettait
de discerner des hommes en cape et en turban de toutes les couleurs se
déplaçant entre les structures spectrales des engins de