Le livre du magicien
avec son cousin bien-aimé, Philippe de France. Ils ont promis de régler tous leurs différends : la navigation en Manche et en mer d’Irlande, et les prétentions de Philippe de France sur certains territoires contestés dans le duché anglais de Gascogne. Notre monarque a dû accepter un mariage entre le prince de Galles et Isabelle, la fille unique de Philippe. Ce dernier ne se tient plus de joie ; il se voit en nouveau Charlemagne – le roi devant qui les autres souverains et princes devront s’incliner. Il attend avec impatience le jour où l’un de ses petits-fils s’assiéra sur le trône à Westminster et où un autre deviendra duc d’Aquitaine. Il espère que cela affaiblira la mainmise des Anglais sur le sud-ouest de la France et qu’il sera alors plus facile de faire de la Gascogne une part du patrimoine capétien. Philippe se considère comme le glorieux descendant de saint Louis. Il soutient que sa famille, les Capet, est de sang sacré. Il est aidé en cela par la papauté qui, comme vous le savez, en raison de querelles familiales à Rome, a dû s’installer en Avignon, dans le sud de la France.
Corbett ferma le poing.
— Les Français ont le pape sous leur coupe.
Il serra plus fort.
— Le traité de Paris est garanti par les châtiments les plus solennels que puisse imposer le Saint-Père.
— Et notre souverain désire s’en dégager.
— Bien sûr, acquiesça le magistrat. Il aimerait dire à Philippe de déchirer le traité, de renoncer à la Gascogne, de ne plus se mêler des affaires d’Écosse et de laisser le prince de Galles épouser qui il veut. Mais, en vérité, Édouard est pris au piège. S’il rompt le traité, il sera excommunié, maudit par la cloche, le livre et la chandelle et deviendra un paria en Europe. Il voudrait bien entrer en guerre, mais les barons de l’Échiquier affirment que le Trésor est vide.
Corbett s’interrompit pour laisser ses paroles faire tout leur effet. Le gouverneur n’ignorait rien de ce qu’il avait énoncé. Il avait, comme Corbett, combattu en Écosse où les princes refusaient de plier le genou devant Édouard. Des armées toujours plus nombreuses étaient expédiées au nord ; sans cesse, plus d’argent était dépensé.
— Nous en arrivons donc au frère Roger Bacon. Il naquit à Ilchester, dans le Somerset, pendant les dernières années du règne du roi Jean, le grand-père de l’actuel souverain. Ce fut, à Oxford et à Paris, un étudiant exceptionnel. Durant son séjour en France, il tomba sous l’influence de Pierre de Maricourt. Le bruit court que ce dernier était un magicien qui avait eu accès à des connaissances occultes.
Le magistrat regarda ses deux compagnons. Ranulf écoutait avec attention, comme c’était toujours le cas quand on évoquait instruction ou savoir. Bolingbroke s’était réveillé, curieux de découvrir les véritables raisons expliquant sa fuite loin de Paris et l’affreuse mort d’Ufford.
— Bacon entra dans l’ordre des Franciscains, continua Corbett. Il rédigea maints ouvrages : Opus majus, Opus minus, Opus tertium. Il diffusa bon nombre de ses traités
— L’Art du merveilleux et Des moyens de retarder les infirmités de la vieillesse, par exemple. Au début la papauté encouragea Bacon, mais il finit par être soupçonné d’hérésie et il fut emprisonné jusque peu avant sa mort en 1292, il y a onze ans. Ses écrits furent désapprouvés et on prétend qu’à son trépas, ses frères, les franciscains du prieuré d’Oxford, clouèrent ses manuscrits au mur et les laissèrent se désagréger. Ses disciples se dispersèrent. Nous avons ouï parler de l’un d’entre eux, un érudit nommé John, que Bacon dépêchait souvent auprès du Saint-Siège. Après la mort de frère Roger, ces élèves disparurent comme des volutes de fumée par un beau jour d’été.
— Qu’en est-il de ces secrets ? s’enquit Ranulf.
— J’ai étudié les écrits de frère Roger, répondit Corbett, tout comme l’a fait Maître William ici présent. Ses théories sont tout à fait surprenantes. Il affirme qu’on peut construire des séries de miroirs ou de verres qui permettront de voir de si près des endroits éloignés de plusieurs miles qu’on pourrait les toucher. Il prétend que César a eu recours à un engin de ce genre avant d’envahir la Grande-Bretagne.
Corbett s’échauffait en développant ce sujet.
— Il évoque des chariots circulant sans être
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