Le livre du magicien
habité depuis toujours par les elfes, les lutins et les démons, lui confièrent les malandrins. Ranulf dissimula sa peur. Les arbres étaient serrés comme s’ils voulaient le cerner et le retenir prisonnier, des branches verglacées se tendaient pour tirer sur son capuchon et retenir sa chape. Ronces et épineux enneigés lui entravaient les chevilles. Il ne comprenait pas où ils allaient ; en fait, il était perdu bien que Horehound trottât comme un lévrier en s’arrêtant de temps à autre pour demander à Ranulf de le suivre de plus près quand ils évitaient une fondrière ou un bas-fond gelés. Il arrivait qu’un animal soit débusqué ou qu’un oiseau s’envole des branches. Le coeur du clerc battait alors la chamade et la sueur perlait sur son visage. Ils traversèrent une trouée sinistre où le ciel n’était plus que bandes de lumière entre les arbres, puis replongèrent sous le sombre couvert en empruntant des sentes aussi trompeuses et dangereuses que les ruelles de Londres. Ils s’arrêtèrent enfin au bord d’une clairière et les hors-la-loi, peu désireux d’aller plus loin, se déployèrent derrière Ranulf.
— Ils ont peur, railla Horehound, mais moi pas.
Et il repartit.
Soudain, dans la clairière, ils tombèrent sur l’« horreur dans la forêt ». Ranulf devina que, malgré la récente chute de neige, quelqu’un était venu ici il y avait peu. Horehound désigna la macabre découverte et, l’entraînant à nouveau sous les arbres, le conduisit au bord du marécage pour lui montrer la seconde dépouille. Le temps qu’ils parviennent à la fondrière, Ranulf avait envie de vomir devant ce qu’il venait de voir : une jouvencelle, chair décomposée, yeux cavés, joues creusées. Il conclut avec Horehound, avant de recouvrir les restes, qu’il s’agissait d’une jeune femme qu’on avait pendue à la branche du chêne qui se trouvait au-dessus d’eux. Le second cadavre était différent. Cette fois, les malandrins aidèrent à enlever neige et glace et à tirer le corps hors de la vase. Ranulf usa de la neige et du bord de sa chape pour nettoyer le visage tout en essayant d’éviter les yeux fixes. En tâtant la dépouille, il effleura le carreau fiché profond dans la poitrine. Il ôta la boue avec son poignard et découvrit la blessure pourpre, la flèche empennée et le sang figé.
— Nous n’y sommes pour rien, déclara Horehound. Dans aucune de ces deux morts. C’est ce que nous voulions vous dire au cimetière. Nous ne voulons être ni accusés ni pendus pour l’assassinat de ces malheureuses filles.
— C’est pour cela que je suis venu, expliqua le clerc. Mon maître, Sir Hugh Corbett, aimerait vous parler.
— Je l’avais ouï dire, répondit le chef des truands. Maître Reginald, le tavernier, a ordonné aux serviteurs de faire passer le message, comme s’il était trop grand seigneur pour s’en charger. Je ne savais qu’en penser. Ça aurait pu être un piège, mais vous nous avez donné votre parole, pas vrai ?
— En effet.
Ranulf scruta l’homme accroupi devant lui, ses compagnons en demi-cercle autour d’eux. Il jeta un coup d’oeil au cadavre étendu dans la neige, à la chevelure, à la chair, aux habits et à la boue ensanglantés.
— Finir ainsi, commenta Horehound qui avait suivi son regard. Pas mieux qu’un conil...
Ranulf se releva et répéta son serment à haute voix. Puis il pria les hors-la-loi de ramener les dépouilles au château où il les accompagnerait. Le reste de la bande les rejoindrait plus tard. On leur donnerait des vêtements neufs, de la nourriture chaude, de l’argent et une grâce rédigée par l’envoyé du roi lui-même et scellée au nom de la Couronne, afin que personne ne puisse lever la main sur eux. Le clerc aurait aimé examiner les cadavres de plus près, mais il se rendait compte que le temps s’envolait, sentait qu’il avait très froid et était affamé. Il avait accompli la tâche qu’il s’était fixé et avait bien l’intention d’échapper à cette épouvantable forêt aussi vite que possible.
CHAPITRE IX
« Quand hommes et animaux sont furieux,
ils désirent blesser et ont l’âme méchante. »
Roger B ACON , Opus majus.
Corbett contemplait les deux corps. On les avait dévêtus et lavés, puis le père Andrew, après les avoir bénis avec de l’encens et de l’eau, avait oint les cinq sens de saintes huiles. Il soupira, murmura des prières, avant de céder la
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