Le livre du magicien
s’avança avec précaution vers le garde accroupi qui se leva afin de laisser passer le Français vers l’escalier extérieur. Vervins faisait attention. Il s’arrêta près du brasero et, ôtant un de ses gants, tendit les doigts au-dessus des charbons crépitants. Le garde sourit et poussa le brasero vers le mur pour libérer le passage. Alors que Vervins s’approchait pour le remercier, il sentit un terrible coup sur la nuque. Il tituba, lâcha sa canne, dérapa par-dessus le bord et alla s’écraser sur les dalles.
Le bruit du tocsin alerta Corbett et ses deux compagnons qui se précipitèrent dans la cour. Une petite foule entourait déjà le Français, qui gisait, le crâne éclaté comme un oeuf, sur les pavés glacés aux arêtes aiguës. Sir Edmund et ses officiers arrivèrent en courant, suivis par le père Andrew dont la canne ferrée cliquetait sur le sol. Peu après, Sanson se fraya un passage, jeta un coup d’oeil à son camarade et se pâma sur-le-champ. Craon survint. Il cria au gouverneur de faire tout de suite emporter Sanson à l’infirmerie tout en retournant le corps meurtri et sans vie de Vervins.
Corbett ne s’en mêla pas. Un témoin lui narra, le souffle court, qu’il avait vu le Français regardant les environs depuis l’aléoir {19} . Il avait entrepris de revenir sur ses pas pour rejoindre l’escalier extérieur quand il avait, semble-t-il, glissé et qu’il était tombé. Simon, l’apothicaire, fit placer la dépouille sur un brancard improvisé et fit pivoter la tête du défunt entre ses mains, de gauche à droite, cherchant du doigt les blessures.
— Le crâne est fracturé, expliqua-t-il en s’adressant au gouverneur. Tout craquelé et fissuré, comme une poterie. Il a sans doute heurté les pavés et la force de sa chute l’a vu tourbillonner comme une toupie. Sa tête a rebondi comme une balle en frappant le sol.
Corbett leva les yeux vers le chemin de ronde où rougeoyait encore le brasero. Il se remémora la remarque de Craon sur le plaisir qu’éprouvait Vervins à s’y promener. Le plus sinistre des hommes avait-il déjà décidé comment une autre personne de sa suite devait périr ?
— Où est la sentinelle, Sir Edmund ?
Le gouverneur fit signe à un mince jeune homme édenté, les yeux anxieux et le visage blême, de s’approcher. L’homme ne cessait d’essuyer ses mains moites sur son justaucorps sale. Corbett le prit par l’épaule et l’entraîna à l’écart de la foule pendant que Craon et Sir Edmund discutaient de ce qu’on devrait faire du corps.
— Ce n’était pas de ma faute, Messire, se justifia le soldat en se libérant de la forte poigne du magistrat, et en jetant des coups d’oeil inquiets vers Bolingbroke et Ranulf qui avaient apporté leur ceinturon pour s’en ceindre. Je ne l’ai point poussé. J’étais à moitié endormi.
Il désigna le rempart élancé.
— Je me trouvais dans un coin obscur. Je m’étais assis et me réchauffais les mains au-dessus du brasero. Le Français est arrivé. Je lui ai dit d’être prudent. Je n’ai pas bien compris ce qu’il m’a répondu, mais il a prétendu avoir servi sur des cogghes et avoir souvent gravi les marches de No’dam.
— Notre-Dame, corrigea Corbett.
— C’est ça, Messire. Il a dit qu’il aimait l’altitude et qu’il voulait voir la campagne. Je lui ai fait remarquer qu’il n’y avait pas grand-chose à voir. Il parlait tout seul et avait l’air préoccupé.
— Que s’est-il passé ensuite ?
— Il s’est dirigé vers la porte de la tour au bout de l’aléoir.
Corbett suivit la direction indiquée par son interlocuteur. La tour, épaisse et ronde, s’élançait à partir du baile et dominait le mur d’enceinte. C’était un endroit destiné au combat avec des meurtrières. Il en gagna l’arrière et pénétra dans l’étroit renfoncement. Il essaya d’ouvrir l’huis, mais il était fermé. Il revint vers le garde.
— Pourquoi cette porte est-elle close ?
— Ah ! répondit la sentinelle avec un petit sourire, le gouverneur est strict et ne veut pas qu’on monte là-haut pour se distraire.
Le magistrat examina le bâtiment. Construit dans le mur d’enceinte de la forteresse, il saillait un peu afin de permettre aux défenseurs d’attaquer les flancs des forces ennemies si elles essayaient d’ouvrir une brèche dans la muraille à coups de bélier. La porte de l’étroite entrée se trouvait de l’autre côté et on
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