Le loup des plaines
homme existait sans doute, présumait-il.
Ce dont il était incapable, c’était de suivre Temüdjin dans cette froideur, cette
indifférence devant la mort. Il avait un fils, après tout.
Le forgeron ne montrait rien de cette lutte intérieure et
lorsque les guerriers olkhunuts furent près d’eux, il avait fait le vide dans
sa tête et se tenait parfaitement immobile.
Les cavaliers galopaient autour d’eux en poussant des cris, l’arc
à la main. Arslan, nullement impressionné par la démonstration, vit l’un d’eux
tirer soudain sur la bride de son cheval en découvrant le visage de Temüdjin. L’animal
faillit tomber sur les genoux tant l’arrêt fut brusque.
— C’est toi ! s’exclama le guerrier qui le montait.
— Je suis venu chercher ma femme, Koke, répondit Temüdjin.
Comme je te l’avais dit.
L’Olkhunut se racla la gorge et cracha par terre. D’une
pression des genoux, il approcha son cheval de Temüdjin et, blême de rage, leva
le bras comme pour le frapper. Temüdjin demeura impavide.
Dans le même geste, Arslan fit avancer son cheval, dégaina
son sabre et en appuya la pointe sous le menton de Koke. Les autres guerriers
poussèrent des rugissements de colère et s’apprêtèrent à tirer. Arslan ne leur
prêta aucune attention, attendit que les yeux de Koke se tournent vers lui. Il
y lut de la peur.
— Tu ne touches pas à mon khan, dit le forgeron d’une
voix posée.
Continuant à observer les cavaliers du coin de l’œil, il
remarqua un arc plus tendu que les autres. La mort était si proche qu’on la
sentait dans le vent ; le temps parut s’arrêter.
— Choisis bien tes mots, Koke, dit Temüdjin en souriant.
Si tes hommes tirent, tu seras mort avant nous.
Arslan comprit que Temüdjin avait lui aussi remarqué l’arc
tendu et il s’étonna à nouveau de la sérénité du jeune khan.
Koke demeurait totalement immobile, bien que son hongre s’agitât
sous lui. Il tint plus fermement les rênes pour ne pas avoir la gorge tranchée
à cause d’un écart soudain de sa monture.
— Si vous me tuez, vous serez taillés en pièces, tenta
l’Olkhunut.
— C’est exact, approuva Temüdjin.
Malgré son sourire, il sentait une colère froide monter en
lui. Il n’était pas d’humeur à subir l’humiliation rituelle imposée aux
étrangers, pas par ces hommes.
— Baisse ton sabre, ordonna Koke.
Son ton était calme, il fallait le reconnaître, mais Temüdjin
voyait de la sueur sur son front malgré le vent. La proximité de la mort peut
faire cet effet à un homme, pensa-t-il. Il se demanda pourquoi il n’éprouvait
lui-même aucune frayeur. Un lointain souvenir d’ailes battant contre son visage
lui revint et il eut l’impression d’être totalement détaché de la situation
présente, insensible au danger. L’esprit de son père veillait peut-être encore
sur lui.
— Souhaite-moi la bienvenue dans ton camp, dit Temüdjin.
Le regard de Koke passa d’Arslan au jeune homme qu’il avait connu
autrefois. Sa position était intenable : soit il pliait, humilié, soit il
mourait.
Temüdjin attendait, inflexible. Il promena son regard sur
les cavaliers, l’arrêta sur celui qui tenait la corde de son arc près de son
oreille. L’homme était prêt à tirer et, d’un mouvement du menton, le jeune khan
indiqua qu’il n’en ignorait rien.
— Sois le bienvenu dans le camp, murmura Koke.
— Plus fort, réclama Temüdjin.
— Sois le bienvenu, répéta Koke.
— Parfait, dit Temüdjin.
Il se tourna vers le cavalier qui attendait toujours, l’arc
bandé.
— Si tu tires cette flèche, je l’arracherai de ma chair
et te la planterai dans la gorge, menaça-t-il.
L’homme cligna des yeux ; Temüdjin le fixa jusqu’à ce
que la pointe acérée s’abaisse. Il entendit Koke soupirer derrière lui quand
Arslan écarta son sabre et il se surprit à trouver tout cela amusant.
— Accompagne-nous, Koke, dit-il en tapotant le dos de
son cousin. Je suis venu chercher ma femme.
Il n’était pas question de pénétrer dans le camp sans aller
saluer le seigneur des Olkhunuts. Avec un pincement au cœur, Temüdjin se
souvint des jeux de préséance que Yesugei et Sansar se livraient entre khans. Il
garda la tête haute et n’éprouva aucune honte lorsque Koke le conduisit à la
yourte de Sansar, située au centre du camp. Malgré ses succès contre les Tatars,
il n’était pas l’égal de Sansar comme son père l’avait été. Il était au
Weitere Kostenlose Bücher