Le loup des plaines
le printemps, seigneur, répondit-elle, manifestement
terrifiée. Ma toux se calme et revient, mais je suis forte.
Temüdjin fixa Koke jusqu’à ce qu’il cesse de sourire. Peut-être
se rappelait-il la correction que Temüdjin lui avait infligée des années plus
tôt. Le fils de Yesugei soupira. La jeune Olkhunut aurait de la chance si elle
arrivait à leur camp, dans le Nord. Si elle mourait, l’un de ses frères devrait
se trouver une femme parmi les captives qu’ils faisaient chez les Tatars.
Arslan prit les rênes des chevaux ; Temüdjin monta en
selle, tendit la main à Börte pour l’aider à le rejoindre. Arslan fit de même
avec la fille qui toussait. Sa sœur devrait suivre à pied.
Temüdjin adressa un signe de tête à Sholoi en songeant qu’ils
ne se reverraient plus.
— Tu tiens parole, vieil homme.
— Prends soin d’elle, répondit Sholoi, qui ne quittait
pas sa fille des yeux.
Sans répondre, Temüdjin fit tourner son cheval et les deux
hommes se mirent en route, l’Olkhunut trottinant derrière eux.
22
Arslan eut la sagesse de les laisser seuls le premier soir. Il
ruminait encore la perte de ses sabres et préféra partir chasser avec son arc
pendant que Temüdjin faisait la connaissance de son épouse. Celle des deux
sœurs qui marchait avait les pieds douloureux lorsqu’ils firent halte ce
soir-là. Temüdjin apprit qu’elle s’appelait Eluin et qu’elle avait l’habitude
de s’occuper de sa sœur, Makhda, quand la maladie l’affaiblissait. Après le
repas, il les laissa avec les chevaux mais, de l’endroit où il était, il entendait
encore par moments les quintes de toux de la fille. Ils avaient les couvertures
des chevaux pour se protéger du froid mais aucune des deux sœurs ne semblait
particulièrement résistante. Si Makhda vivait encore lorsqu’ils arriveraient
dans le Nord, Hoelun trouverait peut-être des herbes pour la soigner. L’espoir
de la sauver était mince, cependant.
Börte parla à peine tandis que Temüdjin étendait une
couverture par terre près du feu. Bien qu’il eût l’habitude de dormir sans rien
d’autre que son deel pour le protéger du froid, il ne s’estima pas en
droit d’en exiger autant de sa femme. Il ne savait rien de la vie qu’elle
menait ni de la façon dont Sholoi l’avait traitée après son départ. Temüdjin n’avait
pas grandi entouré de sœurs et il éprouvait près de Börte une gêne qu’il ne
comprenait pas tout à fait.
Il aurait aimé lui parler et l’écouter tandis qu’ils
chevauchaient sur la même monture mais elle était restée raide et droite, les
yeux fixés sur l’horizon. Il avait laissé passer l’occasion d’entamer
naturellement la conversation et il s’était installé entre eux une tension qu’il
ne parvenait pas à dissiper.
Revenu de la chasse, Arslan joua le rôle de serviteur avec
son efficacité habituelle. Il dépeça la marmotte qu’il avait abattue, fit rôtir
les lanières de viande jusqu’à ce qu’elles soient roussies et délicieuses. Après
quoi, il alla s’installer à l’écart, perdu dans l’obscurité naissante. Temüdjin
attendait de lui un signe montrant qu’il acceptait finalement qu’il ait troqué
deux de ses sabres contre des femmes mais n’obtint du forgeron qu’un silence
hostile.
Tandis que les étoiles tournaient autour de leur axe
septentrional, Temüdjin ne tenait pas en place et ne parvenait pas à se
détendre. Il avait noté la perfection de la peau hâlée de Börte lorsqu’elle s’était
lavé le visage et les bras dans une rivière assez froide pour la faire claquer
des dents. De bonnes dents, avait-il remarqué, blanches et fortes. Un moment, il
songea à lui en faire compliment ; les mots ne vinrent pas. Il ne pouvait
feindre qu’il mourait d’envie de l’avoir contre lui sous une couverture, mais
les années d’éloignement se dressaient entre eux comme un mur. Si elle lui en
avait fait la demande, il lui aurait raconté tout ce qui lui était arrivé
depuis leur séparation, mais elle ne manifestait aucune curiosité et il ne
savait par où commencer.
Couché sous les étoiles, il espérait qu’elle entendait la
façon dont il soupirait. En tout cas, elle ne donnait pas même signe d’être
éveillée. Il aurait aussi bien pu être seul au monde. Il imagina que s’il
restait sans dormir jusqu’à l’aube elle remarquerait sa fatigue et regretterait
de l’avoir délaissé. L’idée lui parut intéressante mais il ne
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