Le loup des plaines
pattes d’une araignée blanche. Temüdjin s’approcha
de lui en titubant, dégaina son couteau. Bien que l’homme ne fût plus qu’à
quelques instants de la mort, Temüdjin s’agenouilla près de lui, plaça la
pointe de l’arme sur la gorge palpitante. Les doigts pâles se figèrent, le
Tatar leva les yeux vers le jeune khan. Nouant son regard au sien, Temüdjin
enfonça lentement la lame, trancha le cou et aspira une bouffée d’air chargée
de sang.
Il se releva en vacillant. Le soleil lui parut trop brillant
et soudain, il se détourna et vomit. Il entendit Hoelun parler mais à travers
un rugissement qu’il ne parvenait pas à faire taire. Arslan et elle discutaient,
Temüdjin vit le forgeron plisser le front, dubitatif.
— Je ne tomberai pas, assura-t-il en serrant le pommeau
de sa selle. Aidez-moi, il faut que je les suive.
Ils durent s’y mettre à deux pour le soulever et, une fois à
cheval, Temüdjin parut aller mieux. Il secoua la tête pour chasser la douleur
qui lui vrillait les yeux.
— Jelme ! appela-t-il. Où es-tu ?
Couvert de sang, le sabre encore à la main, le fils d’Arslan
contourna les cadavres pour les rejoindre. Temüdjin le regarda approcher, vaguement
conscient que c’était la première fois qu’il le voyait en colère.
— Pendant notre absence, déplace le camp, dit-il d’une
voix pâteuse.
Sa tête, qui lui semblait trop lourde, roula sur ses épaules.
Il n’entendit pas ce que Jelme répondit.
— Emmène la tribu dans les collines mais vers le sud, vers
les Kereyits. Si Toghril a des hommes qui nous valent, je brûlerai les Tatars, je
les ferai disparaître de la face du monde. Lorsque j’aurai retrouvé ma femme, je
te chercherai.
— À tes ordres, seigneur, dit Jelme. Et si tu ne
reviens pas ?
La question devait être posée. Temüdjin grimaça de nouveau
quand la douleur le submergea.
— Alors, trouve cette vallée dont nous avons parlé, élèves-y
des fils et des moutons, répondit-il enfin.
Il avait rempli ses devoirs de khan. Jelme serait un bon
chef et ceux qui avaient choisi Temüdjin pour khan seraient en sécurité. Il
empoigna les rênes d’une main ferme en songeant que ses frères ne devaient pas
avoir pris trop d’avance. Il ne restait à présent dans son esprit que la
vengeance.
26
Alors que le soleil sombrait à l’ouest et baignait d’or la
steppe, les frères de Temüdjin tombèrent sur le corps d’un des hommes qu’ils
pourchassaient. Craignant un piège, Kachium demeura en selle, l’arc bandé, tandis
que Khasar approchait du Tatar, le retournait de la pointe de sa botte.
L’homme avait dans l’estomac une flèche dont il avait sans
doute brisé la tige. Tout le bas de son corps était noir de sang, son visage d’un
blanc de craie. Ses compagnons avaient emmené son cheval, dont la trace des
sabots, moins profonde, se voyait encore dans le sol. Khasar fouilla rapidement
le mort mais tout ce qui pouvait être utile, les Tatars l’avaient déjà pris.
Les deux frères chevauchèrent aussi longtemps qu’ils purent
suivre la piste des Tatars puis la tombée de la nuit les força à faire halte. Aucun
d’eux ne parla tandis qu’ils mêlaient le lait d’une outre au sang tiré d’une
veine de la jument de Kachium. Tous deux avaient vu Temüdjin inconscient dans
les bras d’Arslan et ils tenaient absolument à rattraper les pillards.
Ils dormirent mal, s’éveillèrent à l’aube et se remirent en
route dès que les premières lueurs du jour révélèrent à nouveau les traces des
Tatars. Après avoir échangé un simple regard, ils mirent leurs montures au
galop. Résistants, endurcis, ils ne laisseraient pas, par faiblesse, les
pillards leur échapper.
Au cours de la deuxième journée, les empreintes de sabots
devinrent plus fraîches, plus faciles à repérer. Kachium était meilleur à la
traque que son frère, qui n’avait jamais eu la patience d’en apprendre les
subtilités. C’était Kachium qui sautait à terre pour écraser entre ses doigts
les boules de crottin et y chercher un reste de chaleur. Le soir de la deuxième
journée, il sourit en enfonçant ses doigts dans l’excrément sombre.
— Plus frais que le dernier. Nous gagnons du terrain, frère,
dit-il à Khasar.
Les Tatars se donnaient peu de mal pour brouiller leur piste.
Au début, ils avaient tenté de semer leurs poursuivants en zigzaguant, mais les
traces du deuxième matin filaient quasiment en ligne droite vers
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