Le loup des plaines
ses frères, accompagnés du forgeron Arslan. Ils
avançaient d’un pied léger, parfaitement en équilibre pour porter les premiers
coups.
Les Tatars poussèrent des rugissements auxquels leurs
assaillants répondirent par le silence. Temüdjin fit un pas de côté pour
esquiver la lame d’un Tatar, le frappa de la poignée de son sabre. L’homme
tomba, Temüdjin lui expédia son pied dans le visage, sentit l’os du nez craquer
sous son talon. Le deuxième Tatar à se ruer sur lui, armé d’un couteau, était
le jeune qui s’apprêtait à violer Börte. Temüdjin le laissa venir, se tourna
juste un peu pour que le coup se perde dans les plis de son deel. Il
cogna de la main gauche, faisant reculer le Tatar, puis le frappa aux cuisses
de son sabre et l’homme s’effondra dans un cri de douleur. Le couteau tomba sur
les feuilles, près de Börte, qui le saisit de ses mains entravées tandis que Temüdjin,
essoufflé, cherchait déjà une autre proie.
Le jeune Tatar voulut se relever et ne vit pas tout de suite
Börte qui, à genoux, s’approchait de lui. Quand son regard tomba sur elle, il
secoua désespérément la tête, leva les mains mais Börte lui coinça le bras
droit sous un genou et tenta d’abaisser le couteau. De sa main libre, le Tatar
la saisit à la gorge et serra. La vision de Börte se troubla mais elle ne
renonça pas. La tête repoussée par le bras de l’homme, elle sentit enfin sous ses
doigts la gorge palpitante. Elle aurait pu y enfoncer le poignard, continua
cependant à remonter. L’homme résistait mais le sang coulait de ses cuisses et
elle le sentait s’affaiblir.
Elle trouva les yeux, y enfonça ses ongles. La pointe du
couteau lacéra la joue du Tatar avant que Börte puisse presser de tout son
poids. Soudain, il n’y eut plus de résistance quand la lame glissa dans l’orbite
de l’œil. Börte poussa. La main qui lui serrait le cou tomba mollement sur le
côté et Börte s’affaissa, pantelante. Sentant encore sur sa peau l’odeur de ses
violeurs, elle fut prise d’une rage muette et tourna le couteau dans l’orbite, l’enfonça
plus profondément encore.
— Il est mort, dit Arslan en lui posant une main sur l’épaule.
Elle se dégagea comme si ce contact la brûlait, leva la tête,
vit de la tristesse dans les yeux du forgeron.
— Tu es en sécurité, maintenant, ajouta-t-il.
Elle ne répondit pas et ses yeux s’emplirent de larmes. Tout
à coup, elle entendit de nouveau les bruits autour d’elle. Les autres Tatars
hurlaient de douleur et de peur. C’était exactement ce qu’elle avait appelé de
ses vœux.
Börte s’accroupit, posa des yeux égarés sur le sang qui
couvrait ses mains. Elle lâcha le couteau, regarda au loin.
— Temüdjin, appela Arslan, viens t’occuper d’elle.
Il ramassa l’arme et la jeta parmi les arbres. Ne comprenant
pas pourquoi il gaspillait une bonne lame, elle tourna la tête pour le lui
demander.
Temüdjin traversa le camp, éparpillant au passage les
brandons du feu sans même le remarquer. Il prit Börte par les épaules et voulut
la serrer contre lui. Elle se débattit et tenta de se dégager.
— Arrête ! lui ordonna-t-il quand elle leva les
poings pour lui marteler le visage.
Il baissa la tête sous les premiers coups, la tint plus fort.
— C’est fini, Börte. Arrête !
Elle cessa soudain de lutter et s’effondra contre lui, secouée
de sanglots.
— Je suis là, maintenant, dit-il à voix basse. C’est
fini, tu ne risques plus rien.
Il répéta plusieurs fois ces mots tandis que ses sentiments
tournoyaient douloureusement dans sa tête. Soulagé de l’avoir retrouvée vivante,
il sentait encore en lui l’envie rageuse de faire mal aux hommes qui l’avaient
enlevée. Il se tourna vers ses frères, occupés à ligoter les Tatars. Deux des
prisonniers, percés par les flèches de Kachium, pleuraient comme des enfants. Un
troisième mourrait probablement de la blessure qu’Arslan lui avait faite au
ventre, mais ses compagnons survivraient.
— Ranimez le feu, dit Temüdjin à ses frères. Je veux qu’ils
sentent sa chaleur et qu’ils comprennent ce qui les attend.
Khasar et Kachium rassemblèrent les braises dispersées par Temüdjin,
traînèrent une branche morte dessus. Les flammes léchèrent aussitôt le bois sec,
montèrent rapidement.
Arslan regarda les époux réunis. Börte était blême, comme si
elle avait perdu connaissance.
— Tuons-les et retournons au camp,
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