Le loup des plaines
pensif. L’homme
était d’une grosseur écœurante mais Temüdjin ne doutait pas de l’intelligence
aiguë tapie au fond de ces yeux noirs. Toghril avait déjà exprimé sa crainte d’être
trahi. Comment pourrait-il faire davantage confiance à un étranger qu’à un
homme de sa tribu ? Pensait-il que ses guerriers reviendraient inchangés
après une bataille contre les Tatars ? Temüdjin se rappela ce que son père
lui avait dit autrefois : il n’est lien plus fort que celui qui unit des
hommes qui ont risqué leur vie ensemble. Ce lien pouvait passer avant la
famille, avant la tribu, et Temüdjin voulait que ces guerriers kereyits
deviennent les siens.
Ce fut Wen Chao qui brisa le silence, peut-être parce qu’il
avait deviné les appréhensions de Toghril.
— Accorde encore une année à la guerre, seigneur, lui
dit-il, et tu connaîtras ensuite trente ans de paix. Tu régneras sur des terres
magnifiques.
Temüdjin le fixait avec un dégoût croissant. Au bout d’un
moment, Toghril hocha la tête, satisfait.
— Je te donnerai mes meilleurs hommes pour écraser le
camp tatar. Si tu réussis, je t’en confierai peut-être d’autres. Je ne t’accable
pas de promesses puisque tu les dédaignes. Nous nous entraidons et chacun de
nous obtient ce qu’il désire. S’il y a trahison, je m’en occuperai le moment
venu.
— Alors, nous sommes d’accord, répondit Temüdjin, sans
rien montrer de la faim de pouvoir qui le dévorait. Wen Chao, je voudrais aussi
le chef de tes gardes, celui que tu appelles Yuan.
L’ambassadeur fit mine de réfléchir. En fait, il s’apprêtait
à faire la même suggestion.
— Pour cette attaque, tu peux l’avoir, répondit-il, feignant
une certaine réticence. C’est un excellent soldat mais je préfère qu’il ignore
que j’ai fait son éloge.
Temüdjin tendit la main, Toghril la serra entre ses doigts
dodus avant que Wen n’y joigne les siens.
— Fais venir ce Yuan, Wen Chao. Je veux essayer son
armure et voir si nous pouvons en fabriquer d’autres.
— Je peux t’en faire envoyer cent, protesta le
diplomate, tu les auras dans un an.
Temüdjin haussa les épaules.
— Dans un an, je serai peut-être mort. Fais venir ton
guerrier.
Wen adressa un signe à l’un de ses serviteurs présents. L’homme
partit en trottinant, revint quelques instants plus tard avec le chef des
gardes. Yuan s’inclina d’abord devant Toghril, puis devant Wen Chao et enfin
devant Temüdjin. Tandis que le jeune khan s’approchait de lui, son maître lui
lança quelques mots dans sa langue. Quel que fût l’ordre, Yuan demeura immobile
tandis que Temüdjin examinait son armure, notant la façon dont les plaques, cousues
sur un tissu épais, se chevauchaient.
— Elle arrête une flèche ?
— Une des tiennes, oui, répondit Yuan.
— Reste là, dit Temüdjin en s’éloignant.
Wen Chao le regarda prendre son arc, l’encorder, encocher
une flèche. Yuan ne manifesta aucune frayeur et l’ambassadeur fut fier du calme
apparent de son garde tandis que le Mongol visait.
— Nous allons voir, dit Temüdjin avant de lâcher la
corde.
La flèche frappa Yuan avec une telle force qu’il tomba à la renverse.
Il demeura un moment sans bouger et, juste au moment où Temüdjin le croyait
mort, il redressa la tête, se releva, le visage toujours impassible.
Le jeune khan ignora les cris indignés des Kereyits autour
de lui. Toghril s’était levé et ses guerriers s’étaient précipités pour se
mettre entre lui et l’étranger. Lentement, pour ne pas les exciter davantage, Temüdjin
reposa son arc et franchit la distance qui le séparait de Yuan.
La flèche avait transpercé la plaque de fer laqué, sa pointe
s’était prise dans l’épais tissu qui se trouvait dessous. Temüdjin défit les
lacets noués dans le dos de Yuan, écarta la sous-tunique en soie pour dénuder
la poitrine.
Un bleu s’élargissait sur la peau du garde autour d’une
entaille ovale. Un mince filet de sang coulait sur ses abdominaux.
— Tu peux encore te battre ? demanda Temüdjin.
Yuan cracha sa réponse d’une voix tendue :
— Mets-moi à l’épreuve.
Temüdjin sourit de sa colère, lui tapota le dos, examina de
plus près l’égratignure faite par la flèche.
— La soie ne s’est pas déchirée, fit-il observer.
— C’est un tissage très résistant. J’ai vu des plaies
dans lesquelles la soie s’était enfoncée sans être traversée.
— Où puis-je
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