Le loup des plaines
sommeil par la main de sa
première épouse, qui le secoua rudement.
— Debout, paresseux ! dit-elle, fracassant de sa
voix forte un merveilleux rêve.
Le khan grogna, ouvrit les yeux. Elle lui avait donné six
filles, et pas un seul fils. Il la regarda avec irritation en se frottant la
figure.
— Pourquoi me déranges-tu, femme ? Je rêvais de
toi quand tu étais jeune et jolie.
En guise de réponse, elle le frappa dans les côtes.
— L’homme que tu as mandé est arrivé avec ses
compagnons en guenilles. Ils ne valent guère mieux que des vagabonds, à ce que
j’ai pu voir. Vas-tu passer la journée à dormir pendant qu’ils inspectent tes
tentes ?
Toghril réprima un bâillement, se gratta, posa les pieds sur
le sol froid et regarda autour de lui.
— Tu ne m’as rien apporté à manger pour me redonner des
forces ? maugréa-t-il. Tu veux que je les reçoive l’estomac vide ?
— Ton estomac n’est jamais vide, rétorqua-t-elle. Il ne
serait pas convenable de les faire attendre pendant que tu engloutis un agneau
de plus.
— Femme, rappelle-moi donc pourquoi je te garde, dit-il
en se mettant debout. J’ai oublié.
Elle grogna tandis qu’il commençait à s’habiller, avec des
gestes étonnamment vifs pour un homme de sa corpulence. Après qu’il eut aspergé
d’eau son visage, elle lui mit dans les mains un pain chaud fourré de mouton
dégoulinant de graisse. Souriant enfin, il en enfourna la moitié dans sa bouche
et rota doucement en mâchant. Puis il se rassit et avala le reste tandis que sa
femme lui laçait ses bottes. Il l’aimait beaucoup.
— Tu as l’air d’un gardien de moutons, lui dit-elle
quand il se dirigea vers la porte. S’ils te demandent où se cache le vrai khan
des Kereyits, réponds-leur que tu l’as mangé.
— Femme, tu es la lumière de mon cœur.
Il se baissa pour sortir dans l’aube froide, gloussa en
entendant claquer contre la portière de feutre le projectile qu’elle lui avait
lancé.
L’humeur de Toghril changea quand il découvrit les visiteurs.
Ils étaient descendus de cheval et semblaient déjà irrités par la foule stupide
qui se pressait autour d’eux. Toghril souffla en regrettant de ne pas avoir
emporté un autre pain fourré. Son estomac grondait. Il songea qu’il serait tout
à fait indiqué d’organiser un festin de bienvenue en l’honneur de ses hôtes. Sa
femme ne pourrait y trouver à redire.
Quand les enfants kereyits s’écartèrent sur son passage, il
constata que ses féaux l’avaient précédé. Il chercha Wen Chao des yeux mais, apparemment,
l’ambassadeur jin n’avait pas encore quitté sa couche. En approchant du groupe,
Toghril fut profondément déçu par son petit nombre. Était-ce là la horde que Wen
avait promise ?
La plupart des visiteurs regardaient autour d’eux avec
fascination et nervosité. Toghril remarqua au centre du groupe cinq hommes qui
se tenaient près de chevaux efflanqués, le visage tendu. Il sourit en se
dirigeant vers eux et ses féaux lui emboîtèrent le pas.
— Je vous offre l’hospitalité dans mon camp, déclara-t-il.
Lequel d’entre vous est Temüdjin des Loups ? J’ai beaucoup entendu parler
de lui.
Le plus grand des cinq s’avança, inclina la tête avec
raideur, comme s’il n’en avait pas l’habitude.
— Je n’appartiens plus aux Loups, seigneur. J’ai rompu
mon allégeance envers la tribu de mon père. Ces guerriers que tu vois sont mon
peuple, maintenant.
Temüdjin n’avait jamais vu d’homme aussi gros que Toghril. Il
s’efforça de dissimuler sa surprise pendant que le khan saluait ses frères, Jelme
et Arslan. Sa poignée de main était ferme, il ne devait pas avoir plus de
trente ans, mais il était enveloppé de graisse et une large panse tendait son deel.
Il avait un visage rond posé sur les plis épais de son cou. Fait
étrange, il portait une tunique très semblable à celle de Wen Chao. Ses cheveux
aussi étaient coiffés à la mode des Jin et Temüdjin ne savait que penser d’un
tel homme. Il ne ressemblait à aucun des khans qu’il avait connus et seuls ses
traits et sa peau rougeâtre rappelaient qu’il appartenait à leur peuple commun.
Temüdjin échangea un regard avec Kachium tandis que Toghril
en terminait avec les salutations.
— La bête s’est réveillée, dit l’obèse en posant une
main sur son ventre. Vous devez avoir faim après votre voyage, les amis, non ?
Il claqua dans ses mains, réclama qu’on
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