Le loup des plaines
mes
guerriers.
Toghril leva une main vers ses lèvres luisantes de graisse
mais, sentant sur lui le regard de Wen, il tira de son deel un chiffon
dont il s’essuya la bouche.
— Ton nom est connu, Temüdjin. Il est vrai que les
Kereyits sont forts, trop forts pour qu’une autre tribu les attaque, mais Wen m’a
convaincu de la nécessité de porter le combat dans le Nord, comme tu l’as fait.
Temüdjin garda le silence. Un coup d’œil au ventre de
Toghril suffisait pour comprendre qu’il était incapable de mener lui-même ses
hommes à la bataille. Pouvait-il même rester en selle plus d’une heure ? Temüdjin
avait cependant remarqué que des centaines de Kereyits se pressaient autour d’eux
en plus des cinquante guerriers qui participaient au festin. Ils étaient plus
nombreux que les Loups, plus nombreux même que les Olkhunuts. Il devait bien se
trouver parmi eux un homme capable de mener une razzia. Le jeune khan n’énonça
pas cette idée à voix haute, mais Toghril dut la deviner à son expression.
— Tu te dis sans doute que je pourrais charger un de mes
féaux d’attaquer les Tatars ? Mais combien de jours s’écouleraient avant
qu’il ne s’approche de moi, une dague cachée dans la manche de son deel ?
Ne me prends pas pour un benêt, Temüdjin. Les Kereyits ont grandi parce que j’ai
veillé à ce qu’ils restent forts, parce que Wen Chao nous a donné des chevaux, des
vivres et de l’or. Je contemplerai peut-être un jour mes terres dans son pays. Les
Kereyits connaîtront la paix et l’abondance de mon vivant si je repousse les
Tatars.
— Tu veux installer toute ta tribu chez les Jin ? fit
Temüdjin, incrédule.
— Pourquoi pas ? Est-ce trop, d’imaginer une vie
sans une douzaine de tribus qui aboient autour de toi, guettant un moment de
faiblesse ? Wen nous a promis ces terres et les Kereyits y prospéreront.
Temüdjin se tourna vers l’émissaire jin et dit :
— J’ai entendu beaucoup de promesses, mais jusqu’ici je
n’ai vu que des portraits sur du papier. Où sont les chevaux que tu devais me
donner ? L’armure et les sabres ?
— Si nous tombons d’accord aujourd’hui, j’enverrai un
messager à Kaifeng. Tu les auras dans moins d’un an.
Le fils de Yesugei secoua la tête.
— Encore des promesses. Discutons de choses que je peux
toucher.
Il ramena ses yeux jaunes, dorés par la lumière du matin, sur
le khan des Kereyits.
— Ce campement tatar dans le Nord dont je t’ai parlé, mes
frères et moi en avons reconnu les défenses. Nous avons suivi un petit groupe
jusqu’à une journée de cheval des tentes et nous n’avons pas été repérés. Si tu
veux que je mène tes hommes, donne-moi les plus aguerris et j’exterminerai les
Tatars. Scellons ainsi notre accord plutôt que par des présents qui n’arriveront
peut-être jamais.
Quoique furieux qu’on mît sa parole en doute, Wen Chao n’en
laissa rien paraître quand il prit la parole :
— Seigneur, tu as eu de la chance de ne pas tomber sur
les éclaireurs de ce camp. Je les ai croisés en retournant chez les Kereyits.
— Ils sont tous morts, déclara froidement Temüdjin. Nous
avons rattrapé les derniers d’entre eux alors qu’ils regagnaient le camp
principal.
Impassible, l’ambassadeur répondit :
— C’est peut-être pour cette raison que tu as amené si
peu d’hommes aux Kereyits. Je comprends.
Temüdjin plissa le front. Il avait exagéré ses forces et s’était
fait prendre sur le fait, mais il ne pouvait laisser passer l’insinuation :
— Nous avons perdu quatre hommes et nous en avons tué
trente. Nous avons leurs armes et leurs chevaux, il ne nous manque que les
guerriers pour s’en servir.
Toghril guetta avec intérêt la réaction du Jin.
— C’est une belle victoire, ne trouves-tu pas, Wen ?
Temüdjin mérite la réputation qu’il s’est taillée. Au moins, tu as envoyé aux
Kereyits l’homme qu’il fallait.
Le regard du gros khan tomba sur quelques morceaux de viande
restant dans un plat. Il tendit la main pour les prendre, s’enduisit les doigts
de graisse.
— Tu auras tes trente guerriers, déclara-t-il. Les
meilleurs des Kereyits. Rapporte-moi cent têtes et je ferai inscrire ton nom
dans les chants de mon peuple.
Temüdjin eut un sourire crispé.
— Tu m’honores, seigneur, mais si je te rapporte cent
têtes, je réclamerai cent guerriers pour cet été.
Il regarda Toghril s’essuyer les doigts d’un air
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