Le loup des plaines
rien. Je
ne grossirai pas nos rangs avec des ennemis jurés.
La consigne passa rapidement parmi les guerriers une fois
que les officiers furent retournés parmi eux. Ils firent avancer leurs montures
sur un seul rang. Lorsqu’ils parvinrent sur une crête, chacun put voir les
Tatars, cavaliers et chariots progressant lentement dans la plaine.
Avec ensemble, les Mongols se mirent au trot et descendirent
sus à l’ennemi. Temüdjin entendit le son lointain des cors d’alarme. Il détacha
son arc, y mit une corde et l’essaya. Puis il passa un bras derrière lui pour
ouvrir le carquois fixé à sa selle, prit la première flèche, vérifia du pouce
son empennage. Elle irait droit au but, comme les autres.
29
Les Tatars ne manquaient pas de courage. Entendant les cors
mugir dans la plaine, les guerriers coururent vers leurs chevaux et sautèrent
en selle avec des cris aigus qui parvinrent aux oreilles des hommes de Temüdjin.
Demeurant en formation, les soixante guerriers du jeune khan se mirent au galop.
Les officiers rappelaient à l’ordre tout impatient et attendirent que Temüdjin
lui-même, en équilibre sur ses étriers, tire sa première flèche.
Yuan avait discuté l’avantage de frapper l’ennemi sur une
seule ligne, qui se révéla cependant fondé dans le contact initial avec l’avant-garde
ennemie. Les premiers cavaliers tatars, criblés de flèches, tombèrent de leurs
chevaux. Temüdjin constata que les Tatars avaient divisé leurs forces pour
laisser des hommes défendre les chariots, mais le nombre de ceux qui
déferlaient dans la plaine était encore supérieur à ce qu’il avait estimé.
La charge de Temüdjin les brisa en petits groupes de deux, cinq
ou dix hommes, incapables de faire face. Temüdjin eut l’impression que quelques
secondes seulement s’étaient écoulées avant qu’ils laissent derrière eux un
sillage de morts et de chevaux sans cavaliers. Les chariots semblaient
approcher à une vitesse étourdissante. Il regarda à droite et à gauche avant de
sonner trois coups rapides, signal de prendre la formation en croissant. Il
avait presque trop attendu mais les guerriers de Yuan passèrent devant, imités
par Kachium et Jelme à droite. Ils parvinrent au camp, prirent hommes et
chariots en tenailles.
Les doigts de Temüdjin cherchèrent une flèche à tâtons dans
un carquois vide. Lâchant son arc, il dégaina son sabre.
Au centre du croissant, un chariot lourdement chargé de
feutre et de cuir les bloquait. Il vit à peine le premier homme qui se dressa
sur son passage, le décapita d’un seul coup de lame avant de talonner son
cheval pour le lancer dans la masse des guerriers tatars. Arslan et dix autres
le suivirent, tuant tous ceux qui se trouvaient à leur portée. Des femmes et
des enfants terrorisés se réfugièrent sous les chariots avec des plaintes
semblables au cri du faucon dans le vent.
Le changement fut soudain. L’un des Tatars laissa tomber son
arme mais il se serait quand même fait tailler en pièces s’il ne s’était pas
jeté à plat ventre au passage de Khasar. D’autres l’imitèrent et demeurèrent
prostrés sur le sol tandis que Temüdjin et ses officiers traversaient le camp
au galop, cherchant des poches de résistance. Il fallut un moment pour que leur
soif de sang s’apaise. Finalement, Temüdjin prit son cor et donna le signal de
ralentir l’allure. Ses hommes éclaboussés de sang frais l’entendirent, essuyèrent
de leurs doigts leurs sabres luisants de l’éclat même de la vie.
Il y eut un moment de silence absolu. Là où, auparavant, grondaient
les sabots et claquaient les ordres, le calme se fit. Temüdjin écouta, étonné, ce
silence qui se prolongea le temps que ses frères le rejoignent. Puis, quelque
part, une femme geignit, le bêlement des chèvres et des moutons reprit. Peut-être
n’avait-il jamais cessé, mais Temüdjin ne l’avait pas entendu par-dessus le
vacarme de son cœur battant dans ses oreilles.
Il tira sur sa bride pour faire tourner son cheval, regarda
autour de lui. Le camp n’était plus que chaos. Les Tatars encore vivants
pressaient leur visage contre le sol, silencieux et désespérés. Là d’où était
venue l’attaque, un cavalier solitaire avait réussi à survivre. Bouche bée, l’homme
était tellement hébété par ce qu’il venait de voir qu’il ne tentait même pas de
s’enfuir.
— Amène-le ici ou tue-le, dit Temüdjin à Kachium.
Kachium hocha la tête, tapota
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