Le loup des plaines
lui,
semblait ne pas en avoir conscience, ou s’en moquer. Ces barbares étaient une
espèce étrange, mais ils s’imprégnaient de tout ce qu’il avait à leur apprendre
sur leur nouvelle armure. Il avait même commencé à discuter tactique avec Temüdjin
et ses frères. C’était pour Yuan une expérience nouvelle d’avoir un jeune
auditoire aussi attentif. Quand il commandait la garde de Wen Chao, il savait
que le but de son existence, c’était de donner sa vie pour protéger l’ambassadeur,
ou tout au moins de tuer autant d’ennemis que possible avant de succomber. Les
hommes qu’il accompagnait dans la steppe connaissaient tous leur tâche et il
avait rarement à les corriger. Yuan avait découvert qu’il prenait plaisir à les
entraîner.
— Encore, entendit-il Temüdjin réclamer. Cette fois, je
viendrai de ta gauche.
Yuan sourit. Les deux dernières fois où Temüdjin l’avait
prévenu, l’attaque était venue de la droite. Cela n’était pas particulièrement
important et ces tentatives pour le berner l’amusaient.
Temüdjin eut un mouvement vif, son sabre jaillissant avec
plus de vitesse qu’auparavant. Voyant l’épaule droite du jeune khan s’abaisser,
Yuan leva son arme. Au dernier moment, Temüdjin attaqua bel et bien par la
gauche. Le Jin aurait encore pu parer le coup, mais il choisit de laisser la
lame toucher sa gorge.
— C’était mieux, dit-il à un Temüdjin exultant. Ton
armure te ralentit moins.
— Tu as laissé passer ma lame, n’est-ce pas ?
Yuan laissa un sourire lui monter aux lèvres.
— Quand tu seras encore meilleur, tu le sauras.
Lancé au galop, Yuan regarda à droite puis à gauche, constata
que les frères de Temüdjin maintenaient solidement la ligne. L’exercice durait
toute la journée et Yuan se trouvait aux prises avec les problèmes d’une
attaque en masse. L’habileté à l’arc des soixante hommes n’était pas en cause. Les
trente hommes que Toghril leur avait donnés étaient adroits, mais ils n’avaient
aucune expérience de la guerre et Temüdjin se montra d’abord cinglant avec eux.
Ses propres guerriers exécutaient ses ordres instantanément alors que les
nouveaux tardaient toujours à réagir.
Yuan avait été surpris de se voir confier le commandement de
l’aile droite. Il s’attendait que ce poste revienne à Khasar, et celui-ci
pensait de même. Les regards mauvais que le frère de Temüdjin lui lançait quand
il passait avec ses dix gardes ne lui avaient pas échappé. Chaque soir, après l’exercice,
Temüdjin les rassemblait autour du feu et donnait ses instructions pour le
lendemain. C’était un détail mais, en plus de Jelme, d’Arslan et de ses frères,
il incluait Yuan dans la réunion et posait mille questions. Quand le Jin
pouvait répondre grâce à son expérience de la guerre, tous écoutaient
attentivement. Parfois, Temüdjin secouait la tête alors que Yuan n’en était qu’à
la moitié de ses explications et Yuan comprenait son point de vue. Les hommes
que Temüdjin commandait n’avaient pas combattu depuis des années. Il y avait
une limite à ce qu’on pouvait leur apprendre en un laps de temps court, même
avec une discipline implacable.
Yuan entendit le cor de Temüdjin émettre deux sons brefs. Cela
signifiait que l’aile gauche, rompant l’alignement, devait passer devant. Yuan
échangea un regard avec Khasar et les deux groupes de dix accélérèrent pour
prendre leur nouvelle position.
Le Jin regarda autour de lui. La manœuvre avait été
nettement exécutée ; cette fois, les guerriers de Toghril avaient entendu
le signal, ils y avaient réagi immédiatement. Ils faisaient des progrès et Yuan
sentit une étincelle de fierté s’allumer en lui. Si ses anciens officiers
avaient pu le voir, ils se seraient tordus de rire. Première lame de Kaifeng, il
se retrouvait à chevaucher avec des sauvages. Il tenta de se moquer de lui-même
comme les soldats jin l’auraient fait mais, curieusement, le cœur n’y était pas.
Temüdjin souffla un seul coup, l’aile droite s’avança à son
tour, laissant le centre derrière. Yuan regarda Kachium et Jelme qui
chevauchaient à droite, l’air sombre dans leur armure. Les cavaliers entourant
le frère de Temüdjin étaient plus dépenaillés mais ils prirent l’alignement
comme un seul homme. Yuan commençait à songer à la bataille avec un plaisir
anticipé.
Derrière, Temüdjin souffla un coup long. Les hommes
ralentirent tous
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