Le loup des plaines
l’épaule de Khasar pour lui
réclamer des flèches. Khasar n’en avait plus que deux mais il les tendit à son
frère, qui détacha l’arc accroché à sa selle. Temüdjin nota avec amusement qu’il
n’avait pas jeté sa précieuse arme pendant la bataille.
En voyant le Mongol galoper vers lui, le Tatar sortit de sa
stupeur et fit faire demi-tour à sa monture pour s’échapper enfin. Avant qu’il
ait pu prendre de la vitesse, Kachium décocha une flèche qui l’atteignit dans
le haut du dos. L’homme resta encore un moment en selle avant de s’effondrer ;
Kachium le laissa où il était tombé et retourna vers le camp en levant son arc
pour signaler qu’il avait exécuté l’ordre.
Les guerriers de Temüdjin, qui avaient suivi la scène, poussèrent
un rugissement. Ceux qui avaient encore leur arc le brandirent en triomphe. Tout
s’était passé si vite que la fin les avait surpris et laissés indécis. L’immense
joie d’avoir affronté la mort et survécu s’empara d’eux et ils mirent pied à
terre. Plusieurs des hommes de Toghril s’approchèrent des chariots avec
excitation, écartant les peaux et les plaques de feutre pour se faire une idée
du butin.
Les guerriers d’Arslan désarmèrent les prisonniers, les
ligotèrent. Ceux qui étaient indemnes furent traités rudement, avec mépris. Ils
n’avaient pas le droit d’être encore vivants après une telle bataille et Temüdjin
n’éprouvait aucune pitié pour eux. En descendant de cheval, il s’aperçut que
ses mains tremblaient, serra les rênes pour masquer cette faiblesse.
Temüge s’approcha de lui, sauta à terre. Le garçon était
livide mais Temüdjin remarqua qu’il tenait encore un sabre ensanglanté, l’air
étonné, comme s’il ne savait pas comment l’arme lui était venue dans la main. Le
khan chercha le regard de son frère pour le féliciter, mais Temüge se détourna
et vomit sur l’herbe. Temüdjin s’éloigna pour ne pas l’embarrasser. Il lui
adresserait quelques mots d’éloge quand il se serait ressaisi.
Temüdjin alla se poster au milieu des chariots et sentit les
regards de ses officiers sur lui. Les hommes attendaient quelque chose de lui. Il
porta une main à son front comme pour chasser les idées sombres qui se
bousculaient dans son esprit puis il s’éclaircit la gorge.
— Arslan ! Trouve les outres d’eau-de-vie et
fais-les garder par un homme sûr. Khasar, envoie huit éclaireurs reconnaître
les environs. Il y a peut-être d’autres Tatars.
Il se tourna vers Kachium, qui venait de les rejoindre.
— Rassemble les prisonniers et fais monter trois des
tentes par tes hommes le plus vite que tu pourras. Nous passerons la nuit ici.
Ce n’était pas assez, il le sentit. Les guerriers l’observaient,
les yeux brillants, une ébauche de sourire aux lèvres.
— Vous vous êtes bien battus. Le butin est à vous, partagez-le
équitablement.
Cette fois, ils poussèrent des cris de joie et lorgnèrent
vers les chariots lourdement chargés. À eux seuls, les chevaux rendraient
instantanément riches un grand nombre d’entre eux, mais ce n’était pas à cela
que pensait Temüdjin. Dès que la bataille avait été remportée, il s’était
retrouvé devant la perspective du retour au camp de Toghril. Le khan des
Kereyits réclamerait sa part, bien sûr. C’était son droit, même s’il n’avait
pas été présent. Temüdjin ne rechignerait pas à lui accorder quelques dizaines
de chevaux et de sabres. Mais il n’avait aucune envie de lui rendre les
guerriers qui l’avaient si bien servi. Il avait besoin d’eux, alors que Toghril
ne pensait qu’aux terres des Jin qu’il obtiendrait en récompense. Il se baissa
soudain, toucha le sol là où un des guerriers avait succombé. Quand il se
redressa, les brins d’herbe avaient laissé sur sa main de petites taches de
sang.
— Lorsque vous raconterez à vos enfants que vous avez
combattu avec les fils de Yesugei, souvenez-vous de ceci : il n’y a qu’une
tribu, il n’y a qu’une terre, qui ne connaît pas de frontières. Ce n’est qu’un
début.
Peut-être l’acclamèrent-ils uniquement parce qu’ils avaient
encore en eux l’excitation de la victoire. Peu importe, se dit-il.
Les Tatars étaient venus pour une longue campagne. Leurs
chariots transportaient de l’huile pour les lampes, des cordes, des vêtements, de
la soie la plus fine à une toile si épaisse qu’on pouvait à peine la plier. Les
Mongols
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