Le loup des plaines
prétendent qu’il
n’y a pas de sang entre elles et eux, argua Temüdjin. J’ai vu mille guerriers
dans leur camp, avec autant de femmes et d’enfants. Jamais ils n’étaient venus
sur nos terres en si grand nombre.
— Je suis atterré, dit Sansar en souriant. Qu’est-ce
que tu as l’intention de faire ?
— Leur barrer la route, répliqua Temüdjin, dont le
propre calme se lézardait devant l’amusement manifeste du vieillard.
— Avec les Kereyits, je suppose ? Tu vois, je suis
au courant de votre alliance. Les nouvelles vont vite quand elles sont aussi
intéressantes. Mais cela suffira-t-il ? Je ne crois pas que Toghril puisse
amener plus de trois cents guerriers au festin que tu envisages.
Temüdjin prit une lente inspiration pour conserver son
sang-froid.
— Les archers olkhunuts ont une haute réputation. Avec
trois cents de tes hommes, je pourrais…
Il s’interrompit quand Sansar s’esclaffa en se tournant vers
Koke et ses deux féaux.
— Pardonne-moi, mais l’idée que…
Sansar s’interrompit à son tour, secoua la tête.
— Tu es venu quémander des guerriers ? Tu espères
repartir d’ici avec tous les Olkhunuts sous tes ordres ?
— Les Tatars nous écraseront, une tribu après l’autre, prédit
Temüdjin.
Dans son ardeur à convaincre le vieux khan, il fit un pas en
avant. Les féaux se raidirent mais Temüdjin les ignora.
— Combien de temps seras-tu en sécurité une fois que
les Kereyits auront été anéantis ? Combien de temps survivront les Oïrats,
les Naïmans, les Loups ? Nous sommes restés si longtemps séparés que tu
sembles avoir oublié que nous ne formons qu’un seul peuple.
Immobile sur son siège, Sansar l’observait de ses yeux noirs.
— Je ne me connais aucun frère chez les Kereyits, dit-il,
chuchotant presque. Les Olkhunuts sont devenus forts sans leur aide. Tu devras
te battre ou t’enfuir seul, Temüdjin. Tu n’auras pas mes guerriers. Telle est
ma réponse. N’en espère pas d’autre.
— J’ai un sac de lingots d’argent pris aux Tatars, plaida
Temüdjin, comme si chaque mot lui était arraché. Fixe un prix par homme, je t’achèterai
tes guerriers.
Sansar renversa la tête en arrière pour éclater de rire. D’un
geste brusque, Temüdjin détacha l’une des plaques de son armure et, bondissant
en avant, l’enfonça dans la gorge exposée de l’Olkhunut. Le visage éclaboussé
de sang, il trancha dans la chair avec le bord métallique malgré les mains de
Sansar qui le griffaient.
Les féaux ne s’attendaient pas à une attaque aussi soudaine.
Quand ils eurent surmonté le choc et dégainé leur sabre, Khasar était déjà sur
eux, abattant son poing sur le nez du plus proche. Lui aussi avait dans la main
une plaque aiguisée arrachée à son armure là où les deux frères avaient à
moitié coupé les fils. Il s’en servit pour taillader le cou du deuxième féal d’un
large geste circulaire. L’homme tituba en arrière, s’écroula sur le plancher. Une
odeur nauséabonde emplit l’air quand il vida ses boyaux tandis que ses jambes
continuaient à s’agiter spasmodiquement.
Haletant et couvert de sang, Temüdjin s’écarta du corps
inerte de Sansar. Le féal que Khasar avait frappé se jeta en avant avec fureur
mais Khasar avait saisi le sabre de son compagnon. À l’instant où les deux
lames claquèrent, Temüdjin bondit sur l’homme et le fit tomber à terre, lui
tenant les bras. Khasar plongea son sabre dans la poitrine du féal, le
ressortit et l’enfonça à nouveau plusieurs fois jusqu’à ce qu’il ne bouge plus.
Koke demeurait immobile, la bouche ouverte de terreur muette.
Lorsque les deux frères tournèrent vers lui leur regard dur, il recula, heurta
du pied les sabres tatars. Il en saisit un, le tira de son fourreau d’une main
tremblante.
— Je suis ton cousin, bredouilla-t-il. Laisse-moi vivre,
fais-le au moins pour ta mère.
Temüdjin entendit des cris d’alerte dans le camp. Les
guerriers des Olkhunuts ne tarderaient pas à se rassembler.
— Lâche ton arme et tu vivras, dit-il.
Koke laissa tomber le sabre, Khasar regarda son frère mais Temüdjin
secoua la tête.
— Maintenant, sors, et enfuis-toi si tu veux. Je n’ai
pas besoin de toi.
Koke faillit arracher la portière en feutre dans sa hâte. Silencieux,
Temüdjin et Khasar regardèrent un moment la gorge béante du khan des Olkhunuts.
Sans un mot, Khasar s’approcha du fauteuil et donna au cadavre un coup de
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