Le loup des plaines
chose en lui calma Börte.
De stature imposante dans sa propre tribu, il était plus impressionnant encore
pour les Olkhunuts, de constitution moins robuste. Il prit doucement la fille
par le menton, lui fit lever la tête.
— Il faut à mon fils une femme vigoureuse, dit-il en la
regardant dans les yeux. Je crois qu’elle deviendra belle en grandissant.
Perdant un calme inhabituel pour elle, Börte tenta de frapper
la main de Yesugei mais il fut plus rapide qu’elle. Il sourit, hocha la tête.
— Elle me plaît. J’accepte les fiançailles.
Enq cacha son mécontentement derrière un pâle sourire.
— Je suis heureux d’avoir trouvé une bonne épouse pour
ton fils.
— Je reviendrai le chercher dans un an, dit Yesugei. Apprends-lui
la discipline, mais rappelle-toi qu’un jour il sera un homme et qu’il pourrait
revenir payer ses dettes envers les Olkhunuts.
La menace sous-jacente n’échappa ni à Enq ni à Sholoi et le
premier serra les mâchoires pour ne pas répondre avant de s’être maîtrisé.
— La vie est dure dans nos tentes. C’est un guerrier
que nous te rendrons.
— Je n’en doute pas, répondit Yesugei.
Il dut presque se plier en deux pour passer par la petite
ouverture et Temüdjin fut pris d’une panique subite en comprenant que son père
partait. Il eut l’impression que les deux autres hommes mettaient une éternité
à le suivre mais il se força à demeurer assis jusqu’à ce qu’il ne reste plus
dans la tente que la femme rabougrie et qu’il pût enfin sortir lui aussi. Le
temps qu’il émerge, clignant des yeux dans le soleil, on avait déjà amené le
cheval de son père. Yesugei monta en selle avec souplesse, les regarda tous de
haut. Ses yeux trouvèrent enfin Temüdjin mais il ne dit pas un mot et, au bout
d’un moment, il enfonça ses talons dans les flancs de sa monture et partit au
petit trot.
Temüdjin regarda son père s’éloigner, retourner auprès de
ses frères, de sa mère, de ceux qu’il aimait. Tout en sachant que Yesugei n’en
ferait rien, il espérait qu’il regarderait derrière lui avant d’être hors de
vue. Il sentit des larmes lui monter aux yeux, prit une profonde inspiration
pour les refouler afin de ne pas donner à Enq le plaisir d’assister à ce moment
de faiblesse.
Son oncle pressa une de ses narines d’un doigt, souffla vers
le sol le contenu de l’autre et marmonna :
— Un imbécile arrogant, celui-là. Comme tous les Loups.
Temüdjin se retourna avec vivacité.
— Et les petits sont pires encore que le père, poursuivit
Enq avec mépris. Sache que Sholoi bat ses fils plus durement encore que sa
fille et sa femme. Ils savent tous se tenir à leur place. Tu apprendras à en
faire autant.
Il fit signe au vieil homme, qui saisit le bras de Temüdjin
avec une vigueur étonnante. Enq sourit de la surprise du jeune garçon.
Temüdjin garda le silence, conscient qu’ils cherchaient à l’effrayer.
Au bout d’un moment, Enq s’éloigna avec une expression amère. Le jeune Mongol
remarqua que la boiterie de son oncle était plus forte lorsque Yesugei n’était
pas là pour l’observer. Dans sa peur et sa solitude, cette pensée le réconforta
un peu. S’il avait été traité avec gentillesse, il n’aurait peut-être pas eu la
force de tenir. Telle une goulée de sang de jument, l’aversion qu’il ressentait
le revigora.
Yesugei ne se retourna pas en passant devant les derniers
cavaliers du camp. Son cœur saignait de laisser son précieux fils aux mains de
mauviettes comme Enq et Sholoi, mais accorder ne fût-ce que quelques mots de
réconfort à Temüdjin aurait permis à ces gringalets de triompher. Lorsqu’il se
retrouva seul dans la plaine et que le camp fut loin derrière lui, il eut un de
ses rares sourires. Temüdjin avait de la férocité en lui, peut-être plus que n’importe
quel autre de ses fils. Là où Bekter se serait réfugié dans une humeur maussade,
Temüdjin surprendrait peut-être ceux qui pensaient pouvoir tourmenter à leur
guise un fils de khan. D’une façon ou d’une autre, le garçon survivrait à cette
année et les Loups profiteraient de son expérience. Yesugei repensa aux
troupeaux de bêtes grasses qui paissaient autour des tentes de la tribu de sa
femme. Il n’avait décelé aucune véritable faiblesse dans les défenses des
Olkhunuts, mais si l’hiver était rude, il pourrait bien un jour faire irruption
dans leur camp, cette fois avec ses guerriers. Son
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