Le loup des plaines
âge a mon cousin Koke ?
— Treize ou quatorze ans.
— Alors, il vit uniquement parce que tu as touché son
père à la hanche et non au cœur ?
— Je ne visais pas la hanche, avoua Yesugei. Je visais
pour tuer mais je n’avais qu’un instant pour lâcher ma flèche avant que l’autre
frère de ta mère ne jette sa hache sur moi.
— Il est ici aussi ? s’enquit Temüdjin en
regardant autour de lui.
— Non. À moins qu’il n’ait réussi à recoller sa tête
sur son cou.
Temüdjin réfléchit en silence. Les Olkhunuts n’avaient
aucune raison d’aimer son père et beaucoup de le haïr, cependant Yesugei leur
envoyait ses fils pour qu’ils trouvent une épouse chez eux. Les certitudes qu’il
avait parmi les siens volaient en éclats, il se sentait perdu, effrayé. Rassemblant
sa détermination, il se composa un masque indéchiffrable. Après tout, Bekter
était venu à bout de son année dans cette tribu. Les Olkhunuts ne le tueraient
pas et tout le reste serait supportable, Temüdjin en était presque sûr.
— Pourquoi ne sort-il pas ? murmura-t-il à son
père.
Yesugei détacha son regard d’un groupe de jeunes femmes occupées
à traire des chèvres.
— Il nous fait attendre parce qu’il pense que je me
sentirai insulté. Il m’a fait attendre quand je suis venu avec Bekter, il y a
deux ans. Nul doute qu’il me fera attendre quand je viendrai avec Khasar. Cet
homme est idiot, mais tous les chiens aboient après le loup.
— Alors, pourquoi lui rendre visite ? demanda Temüdjin,
baissant encore la voix.
— Les liens du sang me protègent parmi eux. Cela les
agace de m’accueillir, mais ils font ainsi honneur à ta mère. Je joue mon rôle
et mes fils ont des épouses.
— Tu verras leur khan ?
Yesugei secoua la tête.
— Si Sansar me voit, il sera tenu de m’offrir sa tente
et ses femmes pour toute la durée de mon séjour. Non, il est parti à la chasse,
comme je le ferais s’il venait chez les Loups.
— Tu as de l’estime pour lui, dit Temüdjin en scrutant
le visage de son père.
— Il a assez d’honneur pour ne pas feindre une amitié
qu’il n’a pas pour moi. Je le respecte. Si je décide un jour de m’emparer de ses
troupeaux, je lui laisserai quelques moutons et une femme ou deux, peut-être
même un arc et une bonne pelisse contre le froid.
Yesugei sourit, ramena son regard sur les jeunes filles s’occupant
de leur troupeau bêlant. Temüdjin se demanda si elles savaient que le loup
était déjà parmi elles.
L’intérieur de la tente était sombre, l’air chargé d’une
odeur de mouton et de sueur. Baissant la tête pour entrer, Temüdjin songea pour
la première fois à quel point un homme est vulnérable lorsqu’il entre chez un autre.
La petitesse des ouvertures remplissait peut-être une autre fonction que
protéger les habitants de la tente des rigueurs de l’hiver.
Des lits et des chaises en bois sculpté avaient été disposés
le long du treillis circulaire ; au centre trônait un poêle. Temüdjin se
sentit vaguement déçu par l’aspect ordinaire du lieu, même s’il remarqua au
fond un bel arc à double courbure, alternant les couches de bois, de corne et
de tendon. Il se demanda s’il pourrait s’entraîner au tir avec les Olkhunuts. S’ils
lui interdisaient de toucher une arme pendant tout un cycle de saisons, il
risquait de perdre l’adresse qu’il avait eu tant de mal à acquérir.
Koke gardait la tête respectueusement inclinée mais un autre
Olkhunut se leva quand Yesugei s’approcha de lui pour le saluer.
— Je t’amène encore un fils, Enq, annonça le khan d’un
ton solennel. Les Olkhunuts sont amis des Loups et nous font grand honneur en
nous pourvoyant en femmes robustes.
Temüdjin observait avec fascination cet oncle, frère de sa
mère. C’était étrange de penser qu’elle avait grandi autour de cette yourte, qu’elle
y avait peut-être chevauché un mouton, comme le font parfois les enfants.
Enq, qui mesurait une tête de moins que Yesugei, avait un
corps de javeline : peu de chair sur les os, un crâne rasé dont on
devinait les sutures. Même dans la pénombre de sa tente, sa peau luisait de
graisse. Une unique mèche de cheveux gris pendait entre ses yeux. Si le regard
qu’il lança à Temüdjin n’était pas de bienvenue, il pressa la main de Yesugei
et sa femme prépara du thé salé pour ses hôtes. Enq finit par rompre le silence
qui enflait autour d’eux :
— Ma
Weitere Kostenlose Bücher