Le loup des plaines
découvert. Il lança lui aussi son hongre au galop en se
félicitant qu’il soit puissant et bien reposé. Ceux qui le suivaient montaient
peut-être des chevaux fatigués.
Yesugei ne regardait pas par-dessus son épaule. Dans une
vallée aussi large, il pouvait voir jusqu’à huit ou dix kilomètres de distance,
et être vu. La poursuite serait longue et à moins d’avoir beaucoup de chance il
serait pris s’il ne trouvait pas un refuge. Son regard scrutait fébrilement les
collines, montait jusqu’aux arbres des crêtes, pareils à des cils lointains. Il
n’y trouverait pas de quoi se cacher. Il lui fallait une vallée abritée où les
bois s’étendaient sur les os de la terre, la couvrant d’une couche de feuilles
mortes et d’aiguilles de pin grises. De tels endroits ne manquaient pas, mais
Yesugei doutait qu’il y en ait dans les environs immédiats. Avec un grognement
irrité, il poursuivit sa course. Lorsqu’il finit par se retourner, les
cavaliers s’étaient rapprochés et il constata qu’ils étaient cinq. Acharnés à
le traquer, il le savait. Poussant probablement des cris excités qu’il était
trop loin pour entendre. S’ils savaient qui ils poursuivaient, ils seraient
moins téméraires. Le khan porta la main à la garde de son sabre, qui battait le
flanc de sa monture. La longue lame, qui avait appartenu à son père, était
maintenue par une lanière de cuir. Son arc était solidement attaché à la selle
mais il pouvait y mettre une corde en un instant. Sous son deel, il
sentait le poids réconfortant de la vieille cotte de mailles prise à des
pillards. Si ses poursuivants se risquaient trop près, il le leur ferait
regretter, se dit-il. Il était le khan des Loups et ne craignait aucun homme. Il
vendrait chèrement sa peau.
7
Temüdjin grimaça lorsque la laine brute lui coupa les doigts
pour la centième fois. Il avait déjà assisté au feutrage chez les Loups, mais
ce travail était généralement confié aux garçons plus âgés et aux jeunes femmes.
C’était différent chez les Olkhunuts, et il n’était pas le seul à y prendre
part. De jeunes enfants apportaient des seaux d’eau pour asperger chaque couche
de laine et la maintenir constamment humide. Koke et les autres garçons
disposaient la laine sur des peaux tendues sur des cadres et la battaient
pendant des heures jusqu’à ruisseler de transpiration. Temüdjin avait lui aussi
participé au battage et il avait eu bien du mal à résister à la tentation d’abattre
son bâton sur le visage ricanant de Koke.
Après que la laine avait été ainsi assouplie, les femmes
mesuraient une aune de leurs bras écartés et traçaient une marque à la craie. Puis
elles étalaient la laine mesurée sur des tissus de feutrage, la lissaient, enlevaient
les nœuds et les fibres détachées jusqu’à obtenir un matelas blanc. Rajouter de
l’eau aidait à presser le feutre brut en couches, mais la vraie difficulté
consistait à trouver la bonne épaisseur. Temüdjin avait les mains rouges et
douloureuses d’avoir travaillé des heures avec les autres tandis que Koke se
moquait de lui et faisait glousser les femmes à ses dépens. Le jeune Loup n’en
avait cure. Maintenant qu’il avait décidé d’attendre son moment, il pouvait supporter
les insultes et les marques de mépris. Il prenait en fait un plaisir subtil à savoir
que ce moment viendrait lorsqu’il n’y aurait personne d’autre alentour et qu’il
rendrait à Koke un peu de ce qu’il méritait. Plus qu’un peu, en fait. Malgré
ses mains écorchées et les lignes d’égratignures qui lui montaient jusqu’aux
coudes, il savourait cette pensée.
Lorsque les matelas étaient lisses et réguliers, on amenait
un cheval et la longue bande de laine blanche était enroulée sur un cylindre. Temüdjin
aurait donné n’importe quoi pour être celui qui la ferait rouler sur des
kilomètres, loin de ces gens. Mais c’était à ce ricaneur de Koke que cette
tâche incombait et Temüdjin se rendit compte que son cousin était très apprécié
dans la tribu, peut-être parce qu’il faisait rire les femmes avec ses pitreries.
Le jeune Loup ne pouvait que garder la tête baissée et attendre le moment où
ils s’arrêteraient pour avaler un pain fourré de légumes et de mouton. Ses bras
et son dos lui faisaient mal comme si on y avait enfoncé un couteau qu’on
tordait à chaque mouvement mais il endurait sa souffrance, debout avec les
autres pour étendre la
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