Le loup des plaines
surprendrait-il en
train de s’accoupler. Réprimant une envie de passer à l’attaque, il décida d’attendre
que Koke prenne le chemin du retour. On gagne les batailles autant par la ruse
que par la vitesse et la force, il le savait. Il n’aurait su dire où se
trouvait exactement le couple mais il était assez proche pour entendre Koke se
mettre à grogner en cadence. Souriant, Temüdjin s’appuya à un rocher et
attendit.
Ce ne fut pas long. L’ombre avait progressé de la largeur d’une
main, allongeant la barre sombre au pied de la colline, lorsque Temüdjin
entendit de nouveau des voix, puis le rire de la fille. Il se demanda qui elle
était, se surprit à passer en revue dans son esprit les visages des jeunes
femmes qu’il avait côtoyées pendant le feutrage. Deux d’entre elles avaient un
corps agile, une peau brunie par le soleil. Il les avait trouvées étrangement
troublantes quand elles le regardaient, mais c’était là ce que tout homme
ressentait devant une jolie fille, supposait-il. Dommage qu’il n’éprouvât pas
ce trouble devant Börte, qui de son côté semblait seulement agacée par sa
présence. Si elle avait eu elle aussi de longs membres souples, il aurait
peut-être tiré quelque satisfaction du choix de son père.
Entendant des pas, il retint sa respiration et se plaqua
contre le rocher. Il comprit trop tard qu’il aurait dû se tapir dans l’herbe
haute. Si Koke et la fille rentraient ensemble, il devrait les assaillir tous
les deux ou les laisser passer. Il sentait son cœur battre comme un tambour
dans ses oreilles.
Une première silhouette passa près de lui. Les pas étaient
trop légers, la forme trop mince pour que ce pût être Koke. Après le passage de
la fille, Temüdjin relâcha lentement sa respiration, se tourna vers l’endroit d’où
Koke devait venir, s’avança dans le sentier.
Il entendit d’autres pas, laissa le garçon approcher et
murmura :
— Koke…
L’ombre sursauta.
— Qui est là ? demanda l’Olkhunut, la voix
empreinte de frayeur.
Sans lui laisser le temps de se ressaisir, Temüdjin le
frappa du poing serrant la pierre. Dans l’obscurité, le coup manqua de
précision mais fit quand même chanceler Koke. Temüdjin sentit quelque chose lui
heurter le ventre, un coude peut-être, et, enfin libéré, se mit à cogner
sauvagement. Il ne voyait pas son ennemi mais cela ne faisait que décupler ses
forces tandis que, des poings et des pieds, il faisait pleuvoir une avalanche
de coups. Koke finit par tomber et Temüdjin s’agenouilla sur sa poitrine.
Il avait perdu sa pierre dès le début de l’assaut et la
chercha à tâtons en maintenant la forme sombre plaquée au sol. Ses doigts la
trouvèrent, se refermèrent dessus. Il la souleva, déterminé à fracasser la tête
de son persécuteur.
— Temüdjin ! appela une voix dans l’obscurité.
Il se raidit, entendit Koke gémir sous lui. Réagissant
instinctivement, le Loup roula sur le côté et se jeta vers la nouvelle menace. Il
heurta un corps frêle qui tomba à la renverse avec un cri qu’il reconnut. Derrière
lui, Koke se releva et s’enfuit en courant dans le sentier.
Étendu sur la nouvelle silhouette, Temüdjin lui saisit les
bras, sentit leur maigreur et jura.
— Börte ? dit-il à voix basse, connaissant la
réponse. Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Je t’ai suivi…
Il crut voir ses yeux briller dans un faible rayon de lune
que la colline n’avait pas éteint. Ses efforts ou sa peur la faisaient haleter
et il se demanda comment elle avait réussi à le suivre sans qu’il s’en rende
compte.
— À cause de toi, il a déguerpi, maugréa-t-il.
Furieux, il continua à la presser dans l’herbe. Lorsque Koke
raconterait aux autres ce qui était arrivé, il serait de nouveau battu ou on le
renverrait chez lui, couvert de honte. Il jura, finit par lâcher Börte, l’entendit
se redresser et se frotter les bras.
— Pourquoi m’as-tu suivi ? demanda-t-il d’un ton
un peu plus calme.
La voix de Börte lui avait paru chaude et douce dans l’obscurité
qui cachait sa maigreur et ses yeux fulminants.
— J’ai cru que tu t’en allais, répondit-elle.
Elle se leva et il l’imita, se refusant, sans qu’il pût dire
pourquoi, à rompre la proximité de leurs corps.
— Tu aurais dû en être ravie, répliqua-t-il.
— Je… je ne sais pas. Tu ne m’as pas dit un mot gentil
depuis ton arrivée. Pourquoi aurais-je voulu que tu
Weitere Kostenlose Bücher