Le loup des plaines
restes ?
Temüdjin cligna des yeux. En quelques secondes, ils s’étaient
parlé plus qu’en sept jours.
— Tu n’aurais pas dû m’empêcher de frapper. Koke ira
prévenir Enq et son père. Quand ils découvriront notre absence, ils se
lanceront à notre recherche et nous passerons un sale moment lorsqu’ils nous
rattraperont.
— Koke est un imbécile. Mais le tuer, ç’aurait été mal.
Dans le noir, il chercha le bras de Börte à tâtons, le
trouva. Le contact les rassura tous deux et elle se remit à parler pour cacher
son trouble :
— Ton frère Bekter l’a presque battu à mort. Il l’a
roué de coups de pied jusqu’à ce qu’il pleure comme un enfant. Koke a peur de
toi, donc il te hait. Ce serait mal de s’en prendre encore à lui. Son esprit
est déjà brisé.
Temüdjin inspira une longue bouffée d’air, la laissa
ressortir de lui en frémissant.
— Je ne sais pas, dit-il.
Pourtant, les mots de Börte avaient éclairé pas mal de
choses. Koke s’était montré cruel mais, en y réfléchissant, Temüdjin se souvint
que son cousin avait toujours eu dans le regard quelque chose ressemblant à de
la peur. Un instant, il pensa que cela lui était bien égal et qu’il aurait dû
abattre la pierre. Puis Börte tendit le bras et lui toucha la joue.
— Tu es… étrange, murmura-t-elle.
Avant qu’il pût réagir, elle s’écarta de lui et s’éloigna
dans l’obscurité.
— Attends ! appela-t-il. Autant rentrer ensemble.
— Ils nous battront, dit-elle. Je ferais peut-être
mieux de m’enfuir.
Temüdjin s’aperçut qu’il ne supportait pas l’idée que Sholoi
lève à nouveau la main sur elle et se demanda ce que dirait Yesugei s’il la
ramenait plus tôt que prévu chez les Loups.
— Alors, viens avec moi. Nous prendrons mon cheval et
nous irons dans ma tribu.
Il attendit une réponse qui ne vint pas.
— Börte ?
Il s’élança, franchit à nouveau la ligne d’ombre et aperçut Börte,
déjà loin, à la clarté de la lune. Le cœur battant, il accéléra jusqu’à voler
quasiment au-dessus de l’herbe. Le souvenir lui vint du jour où il avait monté
et descendu des collines en courant, une gorgée d’eau dans la bouche, pour la
cracher finalement et montrer qu’il avait respiré par le nez comme il le devait
pendant sa course. Son esprit revint à la journée qui l’attendait. Il se
demanda ce qu’il pouvait faire mais il savait qu’il avait découvert cette nuit
quelque chose de précieux. Quoi qu’il arrive, il ne laisserait plus jamais
personne faire de mal à Börte.
Il entendit les guetteurs souffler dans leurs cors sur les
collines pour donner l’alarme.
Le chaos régnait dans le camp lorsque Temüdjin l’atteignit. Bien
que l’aube se levât, on avait allumé des torches qui projetaient une lumière
jaune et graisseuse sur des silhouettes en mouvement. Aux abords du camp, des
hommes nerveux prêts à décocher leur flèche l’avaient hélé à deux reprises. Les
guerriers, déjà en selle, faisaient tourner leurs montures dans la poussière et
la confusion. Aux yeux de Temüdjin, aucune autorité ne sous-tendait cette
agitation. Chez les Loups, son père aurait dominé la scène, envoyé des
guerriers protéger les troupeaux des pillards. Temüdjin vit pour la première
fois ce que Yesugei avait constaté. Les Olkhunuts comptaient parmi eux de
nombreux archers adroits, d’excellents chasseurs, mais ils n’étaient pas
organisés pour la guerre.
Enq passa en boitant et Temüdjin le retint par le bras. Avec
un grognement furieux, Enq se libéra, se retourna et, surpris, saisit à son
tour le jeune garçon en criant :
— Il est ici !
Instinctivement, Temüdjin poussa son oncle pour se dégager
et le fit tomber sur le dos. Il vit des guerriers se ruer vers lui et, avant qu’il
puisse s’enfuir, des bras puissants l’empoignèrent, le soulevèrent quasiment du
sol. Il laissa alors son corps s’amollir, comme s’il s’était évanoui, dans l’espoir
qu’ils relâcheraient un moment leur étreinte et qu’il pourrait leur échapper. Espoir
vain. Il ne savait pas ce qui se passait, et les hommes qui l’emmenaient
étaient des inconnus. Lorsqu’ils passèrent dans la flaque de lumière d’une
torche, Temüdjin avala péniblement sa salive en comprenant que ses ravisseurs
étaient des guerriers du khan des Olkhunuts, sombres et sévères dans leur
corselet de cuir bouilli.
Leur maître, Sansar, était un homme
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