Le loup des plaines
saisit une outre d’airag noir accrochée à un piquet, fit
jaillir entre ses lèvres un filet du liquide âpre qui lui fouetta la gorge.
— J’aurais dû savoir que les Tatars ne sont même pas
capables d’assassiner un homme sans créer le chaos. Je le leur ai livré. Comment
ont-ils pu le laisser survivre ? S’il avait simplement disparu, il n’y
aurait pas eu trace de notre implication. S’il vit, il se demandera comment les
Tatars ont su où le trouver. Le sang coulera avant l’hiver. Dites-moi ce que je
dois faire !
Il parcourut du regard l’un après l’autre les visages blêmes
et inquiets des hommes qui l’entouraient puis eut un reniflement de mépris.
— Allez ramener le calme dans le camp. Il n’y a pas d’ennemis
ici, hormis ceux que nous avons invités. Priez pour que le khan des Loups soit
déjà mort.
Temüdjin marchait à grands pas parmi les tentes en s’efforçant
de recouvrer son sang-froid. Ce qu’on venait de lui dire était impossible. Il
savait qu’il aurait dû demander des détails à Basan mais il craignait de l’entendre.
Tant que le féal ne disait rien, cette histoire pouvait encore être un mensonge
ou une erreur. Il songea à sa mère, à ses frères, et s’arrêta brusquement :
si la nouvelle était vraie, il n’était pas prêt à défier Bekter.
Derrière lui, Basan trébucha.
— Où est ton cheval ? lui demanda Temüdjin.
— Je l’ai attaché côté nord du camp.
— J’ai quelque chose à faire ici avant de partir. Viens
avec moi.
Il ne s’était pas retourné pour voir comment Basan
réagissait et ce fut peut-être pour cette raison que l’homme obéit.
Autour d’eux, les Olkhunuts se rassérénaient lentement. L’alarme
donnée à l’approche de Basan avait provoqué chez eux une véritable panique. Avec
un sourire méprisant, Temüdjin songea qu’il mènerait peut-être un jour une
troupe de guerre contre eux. L’aube s’était enfin levée et en parvenant à la
lisière du camp il découvrit la silhouette rabougrie de Sholoi se tenant devant
sa tente, une hache dans les mains.
Sans hésiter, le garçon s’avança à portée de l’arme et
demanda sèchement :
— Börte est là ?
Sholoi plissa les yeux devant ce changement d’attitude, dû
sans doute à la présence du guerrier qui accompagnait le jeune Loup.
— Pas encore. Je la croyais avec toi. Comme ton frère
avec la fille qu’on lui avait donnée.
— Quoi ? fit Temüdjin, perdant un peu de son
assurance.
— Il l’a prise avant l’heure, tel un bouc en rut. Il ne
te l’a pas raconté ? Si tu m’as joué le même tour, je te couperai les
mains, et ne t’imagine pas que le guerrier de ton père me fait peur. J’en ai
tué de plus forts que lui de mes seules mains. Avec une hache, je viendrai à
bout de vous deux.
Temüdjin entendit le glissement de l’acier quand Basan
dégaina son sabre. Il l’arrêta en posant la main sur son bras.
— Je n’ai pas touché ta fille, dit-il à Sholoi. Elle m’a
empêché de me battre avec Koke, c’est tout.
— Je lui avais interdit de quitter la tente, répliqua
Sholoi. C’est ce qui compte.
Temüdjin s’approcha encore du vieil homme.
— Je ne suis pas mon frère. Je reviendrai chercher ta
fille quand le sang lunaire lui viendra et je la prendrai pour femme. D’ici là,
ne lève plus la main sur elle. Tu te feras un ennemi de moi si tu lui causes le
moindre mal, vieil homme.
Sholoi avait écouté avec une expression revêche en remuant
les lèvres. Temüdjin attendit patiemment sa réaction.
— Cette fille a besoin d’un homme fort pour la dresser,
dit-il enfin.
— Eh bien, elle l’a trouvé, rétorqua le garçon avant de
se retourner. Souviens-t’en.
Sholoi regarda les deux Loups s’éloigner, le sabre nu de
Basan faisant détaler les enfants devant eux. Il appuya sa hache sur son épaule,
remonta son pantalon en reniflant.
— Je sais que tu rôdes dans le coin, ma fille, dit-il
au vide.
Il n’y eut pas de réponse mais Sholoi ricana, révélant ses gencives
grises.
— Je crois que tu t’en es trouvé un bon. S’il survit. Et
tu vois, je ne parierais pas là-dessus.
10
Temüdjin entendit sonner les cors quand Basan et lui
apparurent dans le couchant. Une douzaine de guerriers galopèrent vers eux en
formation parfaite, tête de flèche d’hommes aguerris capables de disperser une
bande de pillards. Il ne put s’empêcher de comparer cette réaction en bon
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