Le loup des plaines
que Temüdjin n’avait vu
que de loin depuis qu’il vivait chez les Olkhunuts. Lorsqu’il recommença à se
débattre, l’un des guerriers lui assena une taloche qui parsema sa vision d’étoiles.
Ils le jetèrent sans ménagement devant la tente du khan. Avant de le laisser
entrer, l’un d’eux le fouilla avec une efficacité brutale puis l’expédia à
travers l’étroite ouverture. Temüdjin se retrouva à plat ventre sur un plancher
de bois blond qui prenait des reflets dorés à la lumière des torches.
Dehors, le camp retentissait toujours de hennissements et de
cris mais, à l’intérieur, le garçon se retrouva devant une scène silencieuse et
tendue. En plus du khan lui-même, trois de ses féaux se tenaient dans la tente,
le sabre en main. Temüdjin scruta ces visages étrangers, y vit de la colère et,
à son étonnement, de la peur. Il serait peut-être resté muet si son regard n’était
tombé sur un quatrième homme.
— Basan ! s’écria-t-il, stupéfait, en se relevant.
Qu’est-ce qui se passe ?
La présence d’un féal de son père fit naître en lui une
angoisse qui lui tordit l’estomac. Personne ne répondit à sa question et Basan
lui-même détourna la tête avec embarras. Temüdjin se rappela alors ses devoirs
et, rougissant, s’inclina devant le khan des Olkhunuts.
— Seigneur, dit-il d’un ton cérémonieux.
Sansar était de stature fluette comparé à la masse d’Eeluk
ou de Yesugei. Les bras croisés derrière le dos, le sabre à la hanche, il
examina d’un œil placide le jeune Loup puis dit enfin, d’une voix dure au débit
saccadé :
— Ton père aurait honte s’il te voyait ainsi la bouche
grande ouverte. Contrôle-toi, mon enfant.
Temüdjin se ressaisit, calma sa respiration et redressa le
dos. Il compta jusqu’à dix dans sa tête et annonça :
— Je suis prêt, seigneur.
— Yesugei a été grièvement blessé. Il pourrait mourir.
Temüdjin pâlit mais ses traits demeurèrent impassibles.
Devinant de la malveillance chez le khan des Olkhunuts, il
résolut de ne plus montrer aucun signe de faiblesse devant lui. Sansar gardait
le silence, attendant peut-être une réaction. Comme elle ne venait pas, il
reprit :
— Les Olkhunuts partagent ta détresse. Je traquerai
dans toute la plaine les vagabonds qui ont osé attaquer un khan. Il leur en
cuira.
Le ton sec démentait les sentiments affichés. Temüdjin eut
un bref hochement de tête alors qu’il aurait voulu se jeter sur le vieux
serpent qui dissimulait à grand-peine sa satisfaction, et lui faire cracher ce
qu’il savait.
Irrité par le silence du garçon, Sansar lança un regard à
Basan, qui se tenait à sa droite, raide comme une statue.
— Mon enfant, il semble que tu ne pourras pas finir ton
année chez nous. Nous traversons des temps dangereux où l’on profère des
menaces qu’il vaudrait mieux taire. Il faut cependant que tu rentres chez toi
pleurer ton père.
Temüdjin serra les mâchoires mais ne put garder le silence
plus longtemps :
— Il va mourir, donc ?
Sansar émit un sifflement agacé mais Temüdjin, l’ignorant, se
tourna vers le féal de son père.
— Réponds quand je te parle, Basan !
Le guerrier croisa son regard puis leva la tête. Sous la
tente d’un autre khan, Temüdjin mettait leurs vies en danger en violant ainsi
la coutume, faute inexcusable même après avoir entendu pareille nouvelle. Mais
Basan était un Loup lui aussi et il finit par répondre :
— Malgré sa blessure, il a réussi à rejoindre les
familles mais… C’était il y a trois jours. Je n’en sais pas plus.
Temüdjin ramena son regard sur le chef des Olkhunuts et s’inclina
de nouveau.
— Comme tu l’as dit, seigneur, je dois rentrer pour
conduire mon peuple.
Sansar se figea, les yeux brillants.
— Pars avec ma bénédiction, Temüdjin. Tu ne laisses ici
que des alliés.
— Je le sais et je rends hommage aux Olkhunuts. Avec ta
permission, je me retire et vais chercher mon cheval. Une longue route m’attend.
Le khan surprit alors le garçon en le prenant dans ses bras
pour une accolade.
— Que les esprits guident tes pas.
Après s’être incliné une dernière fois, Temüdjin sortit, suivi
par Basan.
Lorsqu’ils furent partis, Sansar lança à l’un de ses féaux
les plus dignes de confiance :
— Tout aurait dû se passer proprement ! Au lieu de
quoi, les osselets tournent en l’air et nous ne savons pas comment ils
retomberont.
Il
Weitere Kostenlose Bücher