Le loup des plaines
Temüdjin, il
était trop tard. Tolui était à portée de tir et il encorda son arc. Avant que
Horghuz ait pu faire plus que crier pour avertir sa femme et ses enfants, Tolui
avait visé et tiré.
Ce n’était pas un coup difficile pour un homme capable de
décocher des flèches d’un cheval au galop. Temüdjin gémit en voyant Horghuz
talonner sa monture fatiguée, qui ne serait pas assez rapide.
Le trait atteignit le berger dans le dos et le cheval affolé
rua. Malgré la distance, Temüdjin vit son ami agiter faiblement les bras. Tolui
tira une seconde flèche qui suivit presque la même trajectoire que la première
et se planta dans la selle en bois tandis que Horghuz tombait à terre, tas de
hardes sombres sur la steppe verte. Avec un rugissement de victoire, Tolui se
mit à courir à petites foulées, prêt à tirer, se rapprochant de la famille
prise de panique, tel un loup d’un troupeau de chèvres.
La femme de Horghuz coupa les harnais du cheval pour le
libérer du chariot et mit ses deux fils sur la selle après avoir dégagé le
brancard. Elle aurait peut-être fait détaler l’animal en lui frappant la croupe,
mais Tolui lui lançait déjà un avertissement. Il leva à nouveau son arc et la
femme, vidée de toute envie de lutter, renonça.
Désespéré, Temüdjin vit le guerrier s’approcher encore et
encocher nonchalamment une autre flèche.
— Non ! s’écria le fils de Yesugei.
Tolui s’amusait beaucoup. Quand sa flèche eut touché la
femme à la poitrine, il prit les enfants pour cible. La force des projectiles
les fit tomber du cheval, les bras en croix sur le sol poussiéreux.
— Quel mal lui ont-ils fait, Basan ? Dis-le-moi.
Le guerrier tourna vers Temüdjin un regard surpris.
— Ils ne sont pas de notre peuple, argua-t-il. Les
aurais-tu laissés mourir de faim ?
Temüdjin détourna les yeux de Tolui qui poussait du pied l’un
des petits corps pour monter sur le cheval. Le jeune Loup sentait que ce dont
il venait d’être témoin était un crime mais il ne trouvait pas les mots pour l’exprimer.
Il n’y avait ni liens du sang ni alliance entre la famille du vieil Horghuz et
la sienne. Elle ne faisait pas partie des Loups.
— Il tue en lâche, dit-il, cherchant encore à clarifier
ce qu’il éprouvait. Affronte-t-il des hommes armés avec autant de plaisir ?
Le plissement de front de Basan lui révéla que son argument
avait porté. Certes, la famille du vieil homme n’aurait pas survécu à l’hiver. Temüdjin
savait que son père aurait peut-être donné lui aussi l’ordre de les abattre, mais
avec regret, et en y voyant une sorte d’acte de pitié sur une terre si rude. Temüdjin
regarda avec mépris le guerrier qui revenait vers eux au petit trot. Malgré sa
carrure et sa force, Tolui était de petite taille. Il avait pris ces vies par
frustration et souriait en retournant auprès de ceux qui avaient assisté à la
scène. La haine de Temüdjin décupla mais il garda au plus profond de lui ses
serments de vengeance et ne reparla plus à Basan.
Les deux guerriers montèrent à tour de rôle le cheval pie
tandis que Temüdjin suivait en trébuchant. Les cadavres furent abandonnés aux
charognards une fois que Tolui eut récupéré ses flèches. Le petit chariot
retint l’attention du féal d’Eeluk assez longtemps pour qu’il le fouille mais
il n’y trouva guère plus que de la viande séchée et des vêtements râpés. Les
vagabonds comme Horghuz ne possédaient aucun trésor caché. Tolui égorgea un
chevreau et but son sang avec un plaisir évident avant d’attacher le corps de l’animal
derrière la selle et d’emmener les autres bêtes. Ils auraient suffisamment de
viande fraîche pour rejoindre les tentes des Loups.
En passant, Temüdjin laissa son regard s’attarder sur les
visages livides et figés du vieillard et de sa famille. Ils l’avaient accueilli,
ils avaient partagé avec lui le thé salé et la viande quand il avait faim. Hébété
et affaibli par les émotions de la journée, il eut la soudaine révélation qu’ils
avaient été sa tribu, sa famille. Non par le sang mais par l’amitié et par le
lien plus large qui unit ceux qui survivent ensemble aux temps difficiles. Les
venger serait son devoir.
Hoelun prit Temüge par les épaules et le secoua. L’enfant
avait poussé comme l’herbe de printemps depuis que la tribu les avait
abandonnés et il ne restait rien en lui du bambin grassouillet. Il
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