Le Manuscrit de Grenade

dans le Nord attaquer les pèlerins qui empruntaient les chemins de Compostelle. Puis ils revenaient se réfugier à Olvera.
    Depuis que les Rois Catholiques avaient rassemblé leurs troupes au camp de Santa Fé pour faire le siège de Grenade, dernière enclave maure en terre chrétienne, les brigands pouvaient détrousser les voyageurs en toute impunité. Ils savaient que cela ne durerait pas et en profitaient sans vergogne.
    Elle découvrit enfin le raccourci qu’elle cherchait et engagea sa monture dans la pente caillouteuse, en direction de la rivière qui serpentait dans une gorge étroite et sinueuse. Encore quelques courbes, et la ville troglodyte de Setenil apparaîtrait au loin, perchée sur sa montagne creusée par les eaux du Guadalporcun.
    Isabelle et Ferdinand avaient reconquis la cité en 1485. Leur première décision avait été d’y construire une église et un couvent. Une fois par an, doña Maria s’y rendait pour voir son frère ; sa nièce l’accompagnait.
    Isabeau se réjouissait d’arriver bientôt au monastère quand, au détour d’un amas de roches grises, elle se trouva nez à nez avec quatre bandits. Trois traîne-savates aux mines féroces suivi par un homme à cheval.

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    Santo Domingo
    Q UAND LA CARRIOLE S’ARRÊTA DEVANT LE COUVENT de pierre grise accolé au flanc droit de l’église encore en chantier, Myrin et Yasmin eurent du mal à s’en extirper. Les reins douloureux, elles firent quelques pas pour détendre leurs corps rompus par les chemins cahoteux des Sierras. Des heures de voyage monotone malgré les paysages changeants, les routes serpentines, les cols étroits, les descentes vertigineuses, les forêts rafraîchissantes, les dômes chauffés à blanc par un soleil torride.
    Myrin ne se faisait aucune illusion. Les meilleurs limiers de l’Inquisiteur pourchassaient une jeune femme rousse et un soldat d’un certain âge. Grâce à la présence de Yasmin qui brouillait les cartes, leur petit groupe avait pu cheminer en toute quiétude. Il était reçu avec sympathie dans les bourgades. Un père, sa jeune femme et sa jolie fille, cela piquait la curiosité des aubergistes et des clients réguliers. Et l’histoire concoctée, un soldat, jeune marié de surcroît, qui partait rejoindre son régiment à Santa Fé, ne laissait personne indifférent.
    Toute l’Espagne savait que les Rois Catholiques y avaient rassemblé leurs troupes placées sous le commandement de l’évêque de Tolède, Gonzalez de Mendoza, âgé de vingt-six ans. Et toute l’Espagne priait pour que ce jeune général en chef prenne Grenade et mette ainsi fin à la Reconquête de l’Andalousie. Commencée des siècles auparavant, elle s’était interrompue, quasiment achevée, deux siècles auparavant avec la prise de Cordoue et de Séville. Mais le royaume de Grenade, planté comme une verrue dans un éden chrétien, continuait à exister grâce à l’intelligence de ses sultans. Ceux-ci avaient très tôt prêté allégeance aux envahisseurs et les avaient même aidés à s’emparer des autres cités musulmanes.
    Les cloches sonnaient les vêpres quand Pedro se présenta devant l’entrée réservée aux piétons. Le martèlement de la main de bronze sur son socle clouté finit par attirer l’attention du moine portier. D’un œil affable, il examina rapidement les trois personnes harassées qui le regardaient comme un bienfaiteur et sourit :
    — Bienvenue, voyageurs. La partie hostellerie de la chartreuse se trouve de l’autre côté de la place. Sœur Anna vous y attend. Auparavant, veuillez laisser votre carriole dans la deuxième cour sur votre droite et mener vos montures à l’écurie où l’on prendra soin d’elles.
    Pendant que leur protecteur s’acquittait de cette tâche, les jeunes filles, mal à l’aise dans un milieu où on les considérait comme des infidèles, se dirigèrent lentement vers l’auberge. Grâce à la profession de sa mère, Myrin avait souvent été en contact avec des chrétiens. Ce n’était pas le cas de sa jeune compagne qui avait eu une enfance protégée par de hauts murs. Myrin lui jeta un regard en coin. Son visage était crispé, sa démarche mal assurée. La peur de commettre un impair et de se trahir rendait Yasmin nerveuse et dangereuse.
    La guérisseuse glissa sa main dans celle de l’adolescente et la serra gentiment. Mais l’autre se dégagea brutalement et s’éloigna de quelques pas. Myrin n’insista pas. Pendant tout le voyage,