Le Manuscrit de Grenade
du seau attaché à une corde, elle entreprit de remonter de l’eau.
Sa monture l’avait déjà rejointe. Une fois désaltérée, Isabeau pénétra dans la grande salle où elle eut la surprise de découvrir un cadavre. L’homme, un Arabe moustachu, mince et musclé, avait à peu près sa taille. Il portait des vêtements d’été anodins, appréciés par de nombreux cavaliers, quelles que soient leurs origines, un pantalon en peau naturelle, une longue chemise grège, ceinturée de cuir marron, et une veste sans manches en cuir. Un turban protégeait sa tête des rayons du soleil d’été. Cette coiffe cacherait ses cheveux blonds. Tout à fait ce qu’il lui fallait pour passer inaperçue. Il était temps de jeter sa soutane.
Pestant contre l’ironie du sort qui lui faisait déshabiller deux hommes à quelques heures d’intervalle, la fugitive s’empara des habits de l’inconnu et les enfila. Elle lui prit aussi sa dague, mais laissa le yatagan, une arme dont elle n’avait pas l’habitude. Puis elle passa dans la pièce voisine, allongea sa couverture sur le sol et s’endormit.
— Lève-toi, sale chien, et rends-moi mes frusques avant que je te coupe la tête.
Réveillée en sursaut, Isabeau poussa un cri : le cadavre était bien vif ! Penché sur elle, il la menaçait de son arme courbe et effilée. Stupéfaite, elle étudia la face de bouledogue, cherchant dans ce visage une once d’humanité qui pourrait lui sauver la vie. Mais le Maure l’avait déjà condamnée. Dès qu’il aurait récupéré ses vêtements, il la tuerait. La situation semblait désespérée. Tout s’était si bien passé jusque-là. Mourir si près du but… Submergée par la peur, elle sentit ses tempes bourdonner, sa vision s’atténuer, son cœur s’emballer. Elle reconnut les symptômes. Dans quelques secondes elle serait complètement aveugle, à la merci de son agresseur. Malgré cette certitude, elle tenta sa chance.
— Un mort vivant n’a pas besoin de vêtements.
Sa voix chevrotait. Tant mieux. Plus elle semblerait inoffensive, plus elle aurait de chance d’en réchapper. Puis elle réalisa que son papillon porte-malheur était absent. Cela la réconforta.
Un rugissement accueillit ses paroles :
— C’est toi la diablesse ! Tu crois me tromper par ta transformation en garçon, mais ta nouvelle apparence ne m’abuse point. Tu es Yasmin, une sorcière comme ta mère, et je vais te tuer.
Désarçonnée par ces propos délirants, Isabeau décida de lui rendre ses habits le plus vite possible dans l’espoir de le calmer. Elle s’apprêtait à enlever le turban qui dissimulait sa tignasse blonde quand une cavalcade lui redonna espoir. Des chevaux venaient de s’arrêter devant l’auberge. Trois grands Noirs en uniformes pénétrèrent dans la pièce. Ils s’arrêtèrent en voyant la drôle de scène qui se jouait sous leurs yeux. Un jeune homme assis sur le sol, la gorge menacée par une lame courbe tenue par un Sarrasin en chausses. L’un des arrivants portait un heaume métallique. Tremblante, Isabeau reconnut le commandeur des Chevaliers de Gregorio, chien de chasse de l’Inquisiteur qu’il vénérait comme un saint. Elle espéra qu’il ne la regarderait pas de trop près. Que faisait-il loin de sa base ? Qui poursuivait-il ? Toujours aucun papillon noir à l’horizon, donc pas de danger la concernant. Elle repensa à la lettre de Tchalaï. Nouvelle réconfortante : Pedro avait réussi à sauver Myrin. Mais une meute sauvage poursuivait les fuyards.
D’une voix impérieuse, habituée à commander, le guerrier au masque d’argent demanda :
— Que se passe-t-il ici ?
Bien décidée à saisir la planche de salut que le hasard lui lançait, Isabeau s’écria en latin, langue que l’Inquisiteur employait souvent avec son protégé.
— Cet homme est un démon. Il n’a repris apparence humaine qu’en vous entendant arriver. Il portait de grandes cornes comme un bouc, une queue fourchue et des sabots.
Furieux que son prisonnier s’exprime dans un langage qu’il ne comprenait pas, l’Arabe brandit son yatagan :
— Tu vas te taire vermine !
Il n’eut pas le temps d’expliquer son affaire comme il en avait l’intention. Trois poignards se plantèrent dans son cœur. Koldo et ses sbires étaient d’une efficacité redoutable, surtout quand on leur parlait de démons ou de goules. Sans même accorder un regard à sa victime, le commandeur se tourna vers elle.
Se
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