Le Manuscrit de Grenade
halètements :
— J’étais venu le dire à Votre Excellence. Les trois mécréants dorment dans une cellule réservée aux voyageurs.
— Conduis-nous, ordonna le commandeur en réajustant à la hâte le masque sur son visage et en empoignant son épée.
Suivi de près par les trois hommes, leur guide les fit sortir du couvent par une petite porte dérobée. Ils traversèrent la grande place et entrèrent dans la venta. Quand ils arrivèrent devant la chambre des fugitifs, Koldo ouvrit lui-même la porte à la volée. Le nid était vide !
Fou de rage, il hurla :
— Que l’on fasse sonner les cloches pour prévenir les hermandades !
Les cloches de la nouvelle église réveillèrent l’abbé qui s’était permis un somme après matines. Il sut immédiatement ce qu’elles signifiaient. Les agents de la Santa Hermandad, police d’État et tribunal, avaient été appelés en renfort. L’envoyé de l’Inquisiteur avait appris la présence des fugitifs et il ne pouvait plus ignorer que le prieur les avait accueillis en toute connaissance de cause. Il devait être fou de rage. Appliquerait-il la loi dans toute sa rigueur et permettrait-il aux hermandades de brûler le monastère ? Qu’allaient devenir ses moines ?
En pensant aux sanctions qui guettaient celui qui avait accordé le droit d’asile, le prieur se signa. La torture le terrifiait. Le commandeur des chevaliers de Gregorio irait-il jusque-là ?
Dieu merci, Myrin et ses compagnons étaient partis depuis longtemps. Loué soit l’œil de sœur Anna qui avait reconnu la bague du médecin Tchalaï de Luz et l’avait prévenu sur-le-champ.
Conscient qu’il n’allait pas tarder à être dérangé, le prieur se leva, fit un brin de toilette et revêtit ses vêtements sacerdotaux. Puis il s’agenouilla sur son prie-dieu, face au grand Christ de bois crucifié qui l’accompagnait depuis des années et se mit à réciter le Credo.
7
Manuel
F ACE AUX INDIVIDUS QUI BARRAIENT LE SENTIER , trois piétons armés de sabres, de haches et de poignards suivis par un homme à cheval, la jument d’Isabeau s’arrêta, ne laissant d’autre choix à la jeune fille que de se livrer sans combattre. Sa première pensée avait été de passer en force, mais la décision de l’animal lui avait sans doute sauvé la vie. Les trois gredins belliqueux qui l’entouraient, tous coiffés d’un foulard noué à la façon des pirates barbaresques, étaient débraillés, sales et ivres. Des cauchemars ambulants.
Contrairement à ses acolytes, le cavalier silencieux semblait se désintéresser de sa personne. Ce fut lui pourtant qui, se frayant un passage au milieu des gaillards vociférants, s’approcha d’elle, et se pencha pour attraper ses rênes. Dans un hennissement joyeux, les naseaux de leurs montures se touchèrent, lèvres retroussées, comme si la situation les amusait. Quand l’inconnu se redressa, elle remarqua son arme. Logée dans un fourreau luxueux accroché sur la gauche de son ceinturon de cuir, l’épée se distinguait par un pommeau sculpté et surtout par une fusée en bois précieux cloisonné d’or et d’argent, travail caractéristique des artisans de Damas.
Étonnée de voir un bandit de grand chemin arborer une rapière de cette valeur, elle leva les yeux et plongea dans l’eau limpide de deux aigues-marines qui la fixaient sans ciller. Son visage fin et racé arborait un sourire énigmatique qui disparut aussitôt. La prestance d’un hidalgo, vingt-deux ans environ… Que faisait-il en compagnie des coupe-jarrets vulgaires qui l’encerclaient ?
Sa tunique en lin indigo, une couleur rare et chère, lui descendait aux genoux, et laissait apparaître une chemise en soie blanche ornée de broderies. De belles bottes de cuir fauve cachaient une partie de ses chausses du même bleu que sa tunique. Ne manquaient que le pourpoint aux manches évasées et la toque bicolore pour en faire un homme de Cour. Un étrange chapeau de cuir aux larges bords couvrait ses cheveux blonds . Une coiffure démodée depuis quelques années qui ne cadrait pas avec le reste de sa personne et trahissait le marginal ou le renégat.
Devant ses yeux bleus qui la transperçaient comme une épée, Isabeau fut soudain envahie par une peur insidieuse. Pouvait-il deviner ce qu’elle était ? Discerner dans le jeune homme qu’il scrutait une jeune fille noble de dix-sept ans ? Tandis que ces réflexions désagréables lui traversaient
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