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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marianne Leconte
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secondes puis ajouta d’un ton piteux. J’ai un aveu à te faire. Avant l’arrivée des lavandières, j’ai essayé de te tuer. Heureusement que tu es tombée, sinon…
    — Je ne suis pas tombée, je me suis jetée par terre. Ton visage était si terrifiant…
    — Seigneur ! Que le Miséricordieux me pardonne ! J’ai été heureuse de vous rencontrer tous les deux, mais je représente un danger pour vous. Après la réception, je m’en irai.
    Partagée entre soulagement et culpabilité, Myrin secoua la tête :
    — Pour aller où ? Une musulmane perdue au milieu du camp de la Sainte-Foi, tu ne tiendras pas deux jours avant d’être démasquée.
    — Mon don peut me sortir de situations délicates.
    — Il peut surtout te conduire au bûcher.
    — Alors que proposes-tu ?
    — Nous allons ensemble à Grenade. Là, tu pourras décider.
    Une adolescente en larmes se jeta dans ses bras et se blottit contre sa poitrine.
    Soudain, malgré elle, Myrin confia à celle qu’elle considérait peu de temps auparavant comme une gamine insupportable :
    — Pedro est un homme soumis à ses appétits. Pour lui, je ne suis qu’un corps désirable.
    Sa compagne secoua la tête d’un air écœuré :
    — C’est incroyable ! À ton âge, tu ne connais rien aux hommes. Il n’ose pas se déclarer parce qu’il a peur que tu le trouves trop vieux, et non l’inverse. Il pourrait être ton père. Enfin presque.
    — De toute façon, une fois à Grenade, il choisira une femme de sa condition et de sa religion, rétorqua Myrin d’un ton sec pour clore le débat.
    Comment avait-elle pu se laisser entraîner dans une discussion aussi personnelle ? Aussi loin qu’elle se souvienne, Myrin n’avait jamais eu d’amie. La seule personne avec qui elle se sentait en confiance était sa mère, mais le plus souvent elles se comprenaient d’un regard. Tchalaï lui manquait tellement. Elle aurait voulu pouvoir s’allonger sur un lit et pleurer toutes les larmes de son corps.
    Le rire perlé de Yasmin la sortit de ses pensées moroses.
    — Mes deux sœurs étaient musulmanes. Elles ont pourtant épousé des chrétiens. Ne sous-estime pas les pouvoirs de l’amour.
    Attendrie par ces paroles, même si elle conservait quelques doutes sur la question, Myrin acquiesça :
    — Tu as raison.
    — Et moi je te promets de ne pas encourager ton amoureux à me faire la cour.
    Comme Myrin fronçait les sourcils, elle ajouta précipitamment :
    — Je plaisante. Notre guerrier se sent responsable de moi. Il éprouve des sentiments paternels. Laisse-lui le temps, il s’en rendra compte tout seul.
     
    En entrant dans l’estaminet, Isabeau fut suffoquée par l’odeur de fauves que dégageait une flopée de soldats mal lavés. Peu rassurée par les trognes avinées des soudards, elle s’empressa de suivre son protecteur qui se faufilait entre les tables. Les hommes profitaient d’une trêve pour ripailler et se saouler, mais l’atmosphère était lourde. Il suffisait d’un geste mal interprété, d’un mot maladroit pour que leur sauvagerie naturelle ressurgisse, que leurs instincts de tueurs reprennent le dessus. La moindre étincelle pouvait déclencher une bagarre. Manuel finit par atteindre la table vide qu’il convoitait.
    Après leur rencontre avec la reine, il lui avait conseillé de faire la sieste puis s’était éclipsé pendant des heures. À son retour, il arborait une mine ravie. Elle n’avait pas osé lui poser de questions. Elle versa de l’eau dans le verre de vin tiède que l’on venait de leur apporter et l’avala d’un trait. Soudain, sur le seuil de la tente, elle aperçut une silhouette familière et faillit s’étrangler. Elle lâcha son verre. Les larmes aux yeux, elle se mit à tousser. Compatissant, Manuel vint à la rescousse et lui tapa plusieurs fois dans le dos. Quand elle put respirer, elle chercha des yeux le guerrier qui venait de pénétrer dans l’auberge. Il semblait perdu. Cela faisait longtemps qu’il avait quitté les champs de bataille. Il hésita, faillit ressortir, chercha des yeux une place libre, en vain. C’était l’heure du souper et les clients s’empiffraient.
    Devant son air perplexe, une servante le prit par la main, le tira vers le fond de la salle en lui désignant une table reléguée dans un coin sombre. À ce moment-là, son compagnon se leva. D’un geste, il invita le soldat à leur table. L’homme remercia son hôte en s’inclinant et s’assit.

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