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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marianne Leconte
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réserves commençaient à s’épuiser. Les Grenadins, malgré leur courage, ne pourraient résister aux grands froids de l’hiver. Le dernier sultan de Grenade leur éviterait la fin pathétique des habitants de Malaga qui avaient été vendus comme esclaves, hommes, femmes et enfants.
    Toutes ces années de luttes, de revers, de rebondissements et de souffrances pour en arriver là. Quand avait-il été heureux pour la dernière fois ? La réponse était terrible : lors de ses années d’emprisonnement dans un palais castillan, après la défaite de Lucena. Son oncle profitant de la situation s’était emparé du pouvoir, mais c’était un médiocre chef de guerre. Pendant que les armées catholiques reprenaient Utrera, Zahara, Setenil, Ronda, Marbella, lui Abu Abdallah, sultan d’une Andalousie amputée, découvrait les délices d’une vie oisive, et passait son temps à lire de la poésie ou à philosopher avec de nobles castillans.
    Ses malheurs avaient commencé avec l’enlèvement de la belle Espagnole Isabelle de Solis dont son père était tombé éperdument amoureux au point de reléguer son épouse légitime et ses deux fils dans un palais excentré. La captive s’était convertie. Sous le nom de Zoraya, l’Étoile de l’Aube, elle avait engendré deux garçons. Une lutte mortelle s’était alors engagée entre la concubine soutenue par les Abencérages et la sultane par les Zegris. Une bataille qu’Aïcha avait gagnée haut la main. Ses armées avaient détrôné et chassé le sultan. Abd Allâh, encore un enfant, avait été couronné. Zoraya avait disparu. Quant à ceux qui avaient pris son parti, ils avaient payé le prix du sang.
    Trois années de captivité, d’insouciance et de bonheur. Il n’avait été libéré qu’après de longues tractations que sa mère avait menées avec une intelligence aiguë et une volonté de fer. Curieux comportement de la part d’une femme qui non seulement ne l’aimait pas, mais le méprisait. Il est vrai qu’elle avait besoin d’un pantin pour gouverner à sa place et il était parfait dans ce rôle.
    Ignorant qu’un regard inquisiteur ne le quittait pas depuis qu’il avait renvoyé ses dignitaires et ses courtisans, il se mit à pleurer. Ses larmes exaspérèrent la sultane. D’un ton terrible, où elle exprimait tout le mépris qu’elle ressentait pour son descendant, elle gronda :
    — Pleure comme une femme ce royaume que tu n’as pas su défendre comme un homme. Rappelle-toi que tes aïeux créèrent cette cité et y moururent en rois, et que leur dynastie s’achève avec ton nom.
    Un long gémissement retentit. Affalé sur des coussins, le sultan de Grenade sanglotait.
    Sans un regard envers cet enfant qu’elle avait installé de force sur le trône pour se venger d’un époux trop épris d’une favorite chrétienne, Aïcha quitta la salle des Ambassadeurs en crachant une dernière injure :
    — Quand tu auras fini de te conduire comme un lâche, rejoins-moi chez Mahmoud. Contrairement à ce que tu crois, tout n’est pas perdu.
     
    Comme à chaque fois qu’elle pénétrait dans la chambre haute de la tour de Comares, Aïcha contempla avec ravissement les sculptures taillées dans des cristaux de roche colorés. Des œuvres magnifiques qui représentaient ses ennemis, des hommes, des femmes, parfois des enfants, dans des postures étranges et dégradantes. Elle passa devant l’effigie de son époux, une améthyste grandeur nature, et s’arrêta un instant devant Zoraya, une aigue-marine translucide.
    Assis devant une longue table en cèdre, bois qui faisait fuir morts vivants et autres esprits malfaisants, Mahmoud se livrait à l’une de ses activités favorites : il communiquait avec son espion le plus efficace.
    Face à lui, posée sur la table comme un énorme bibelot, une chauve-souris le regardait de son œil unique. Avec ses ailes de cuir noir repliées, elle avait la taille d’un gros chat. Sa face aplatie, nez écrasé et bec coupant, était d’une laideur effrayante. Au milieu du front, l’œil était énorme, transparent, semblable à une boule de cristal. Cette horrible bête portait le doux nom de Xana.
    Aïcha et Mahmoud étaient issus du même nid de serpents, une célèbre famille assyrienne qui pratiquait la magie depuis des générations. Amants depuis leurs adolescences, ils étaient unis par un goût démesuré du pouvoir. La sultane posa la main sur l’épaule du mage :
    — As-tu entendu la

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