Le Manuscrit de Grenade
requête du prêtre ?
— Je vais lancer Xana à la recherche des fugitifs. Une fois qu’elle les aura débusqués, elle les suivra en permanence. Nous surveillerons ainsi leurs mouvements. Dès qu’ils auront mis la main sur le manuscrit, nous interviendrons.
— Tu crois vraiment à cette prophétie ?
Le sorcier haussa ses sourcils épais qui lui donnaient un air sardonique :
— Les légendes ne sont bien souvent que des messages cryptés afin d’égarer le commun des mortels. Une fois en notre possession, le trésor nous permettra de conserver Grenade éternellement. Les Maures ont dominé l’Espagne pendant sept cent soixante-dix-sept ans. Cela fait deux cent cinquante ans que la dynastie des Nasrides gouverne l’émirat de Grenade en payant un tribut annuel aux rois de Castille et en combattant à leurs côtés contre les musulmans. Il est temps de reprendre notre liberté et de faire revivre la vieille religion de nos ancêtres, celle que nous pratiquions avant qu’un berger arabe n’entende des voix.
— Vous blasphémez ! couina une voix étranglée.
Le roi se tenait sur le seuil de la chambre et les regardait avec horreur.
— Mon fils a enfin le courage de se rebeller, s’exclama la sultane mère. Dommage qu’il soit si respectueux du Coran et si attaché à nos ennemis ainsi qu’à la parole donnée.
— Je peux le transformer, susurra le magicien en se levant et en enlaçant sa complice.
— En faire un mort vivant ? Je n’aime pas cette idée, je le préfère encore lâche et pleurnichard.
Mort de peur, Boabdil s’enfuit et dévala les marches de la tour pour se réfugier dans le harem. L’idée que sa mère puisse accepter la proposition du sorcier le terrorisait.
12
Le Zacatin
D ÈS L’AUBE, M ANUEL AVAIT FAIT LE GUET devant la porte fermée du caravansérail, persuadé que Luis et ses nouveaux amis s’y étaient réfugiés pour passer la nuit. En les voyant sortir souriants et détendus, il secoua la tête d’un air mécontent. Les fugitifs se comportaient comme s’ils étaient seuls au monde. Ils ne prenaient aucune précaution, se croyant à l’abri de leurs poursuivants. Pourtant, le maître d’armes lui avait fait bonne impression. Mais il allait d’un bon pas, sans se soucier des regards surpris qui effleuraient leur groupe hétérogène. La jeune Mauresque marchait à ses côtés tout en observant d’un œil curieux les magasins, les ruelles étroites, les rares passants. À la traîne, Luis papotait gaiement avec la jeune femme que Manuel avait sauvée de la vindicte des lavandières. Il sourit en repensant à la scène. Il s’en était fallu d’un cheveu pour qu’il passe son chemin sans s’occuper des demoiselles en détresse. Les mots magiques « sorcière rousse » l’avaient rattrapé. Ravi d’avoir trouvé celles qu’il cherchait, il les avait suivies jusqu’à leur tente. À l’arrivée de Pedro, il s’était esquivé, sûr désormais de retrouver ses proies. Mais l’invasion des criquets avait changé la donne. Luis, heureusement, avait réussi sa première mission en gagnant la confiance des chasseurs de trésor.
Une ombre planait au-dessus des promeneurs. Surpris, l’hidalgo reconnut la silhouette d’un grand vampire, animal nocturne qui détestait la lumière du jour. Encore une diablerie de la sultane mère. Alonso Jimenez n’était pas le seul à prendre au sérieux la prophétie. Si les maîtres de Grenade traquaient les Doués et leurs comparses, ce n’était pas pour les livrer à l’Inquisition.
La présence de la chauve-souris le décida à bouleverser son plan. Plus question de se joindre à la petite bande. Il laisserait son protégé en première ligne, les surveillerait de loin et interviendrait le moment venu.
Dans le camp de Santa Fé, le Grand Inquisiteur d’Andalousie s’entretenait avec Koldo. Il lui avait relaté son voyage à Grenade, la réception relativement bienveillante du sultan Boabdil envers l’émissaire espagnol et sa contribution maladroite.
— Mon impatience m’a encore une fois joué un vilain tour. Je ne crois pas que ces mécréants nous livreront les sorcières. Dieu merci, le jeune Luis s’est infiltré dans la bande sur l’ordre de don Manuel.
Visage découvert, son chien de chasse se taisait, mais ses cicatrices boursouflées frétillaient comme un amas de vermisseaux.
— Parle ! Qu’est-ce qui te trouble ? demanda Alonso Jiménez.
— Luis, le cousin de Don
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