Le Maréchal Berthier
son ami Clarke, savait qu'il n'y avait rien pour les habiller, les chausser, et plus grave encore, pour les armer. Depuis deux ans tous les stocks des magasins et arsenaux français avaient systématiquement été expédiés en Allemagne pour y être à proximité des divisions de la Grande Armée. Ils se trouvaient dans des places encore tenues par des troupes françaises représentant environ cent cinquante mille hommes, mais elles étaient assiégées.
Face aux effectifs squelettiques dont allait disposer Napoléon, les alliés alignaient entre cinq cent et six cent mille hommes bien équipés et Berthier reconnaissait que la disproportion des forces était trop grande pour qu'il y eût la moindre chance de victoire définitive. De plus, le pays tout entier n'aspirait plus qu'à la paix et souhaitait de plus en plus voir disparaître le régime impérial. Les conspirations royalistes fleurissaient partout presque à visage découvert même si les comploteurs étaient encore peu nombreux. Les impôts rentraient de plus en plus mal. Il ne restait que les cadres subalternes de l'armée et les vétérans pour demeurer fanatiquement bonapartistes.
Pourtant, craignant que le pays ne se soulevât en masse, les alliés avaient, en novembre 1813, fait des propositions de paix assez raisonnables quoique moins favorables que l'été précédent. Ils offraient de reconnaître les limites naturelles de la France : Alpes, Rhin et Pyrénées. Napoléon les avait naturellement rejetées. Berthier ne comprenait pas l'orgueil qui poussait l'empereur à une telle intransigeance dans laquelle il s'enfonçait chaque jour davantage. Il est très possible que celui-ci ait estimé qu'une fois vaincu il n'aurait pu se maintenir sur le trône.
Le prince de Wagram avait reçu pour consigne, le 26 décembre 1813, de former en collaboration avec Clarke dans les délais les plus brefs une armée dite de réserve qui devrait être concentrée autour de Paris en un mois. Ils savaient tous deux la chose matériellement impossible mais se gardèrent de le faire remarquer à Napoléon qui n'acceptait plus aucune objection. Lorsque à Paris l'état-major général ou plutôt ce qu'il en restait apprit que, le 21, l'ennemi avait franchi le Rhin, il fallut parer au plus pressé. Berthier ordonna donc aux seules forces dont il disposait, les corps de Marmont et de Victor, d'évacuer Mayence et Strasbourg est de se porter sur les cols des Vosges pour s'y installer défensivement. Ils étaient malheureusement trop faibles et seraient bientôt contraints de reculer, ce qui déclencherait une violente colère chez Napoléon qui découvrirait avec une sorte de stupeur que loin d'avoir les effectifs qu'il imaginait, ses divisions en comptaient moitié moins si ce n'était pis. Pourtant, à la fin de janvier 1814, avec à peine quarante-sept mille hommes il n'hésita pas à affronter deux cent trente mille coalisés et, miracle, les battit en plusieurs rencontres. À Brienne, le 29 janvier, après le combat victorieux, l'empereur et son entourage regagnaient leur bivouac lorsqu'ils furent brusquement assaillis par une sotnia de cosaques. Dans la mêlée confuse qui suivit jusqu'à l'intervention de l'escorte, Berthier eut son bicorne traversé d'un coup de lance. Lui-même fut désarçonné et un peu piétiné dans la boue par les chevaux. On le releva tout contusionné, mais il reprit aussitôt son poste et ses fonctions comme si de rien n'était.
Toute la stratégie de Napoléon consistait à tabler sur le manque de coordination entre les différents corps alliés, ce qui lui permettrait de les affronter les uns après les autres à égalité. Mais Berthier, faisant preuve d'un étonnant réalisme, essaya de le convaincre que ces succès étaient éphémères, qu'il faudrait bientôt livrer bataille sous Paris et que l'on risquait d'y être écrasé. En bon chef d'état-major il comparait les moyens dont disposait la France et les coalisés et cet exercice intellectuel lui montrait que les jeux étaient faits. Napoléon malgré tous ses mérites et ses talents n'avait aucune chance de venir à bout de ses adversaires. Berthier suggérait donc que l'on fît la paix à n'importe quel prix pour sauver la dynastie.
Tout de même impressionné par les arguments du major général, l'empereur accepta d'envoyer un plénipotentiaire, Caulaincourt, au curieux congrès de Châtillon que souhaitaient surtout Metternich et les Anglais. Les dernières défaites des
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