Le Maréchal Berthier
cela, Berthier se porta à leur tête et tira son sabre le pointant en direction du pont. Voyant son geste, les généraux Masséna, Dallemagne et Cervoni l'imitèrent et se joignirent à lui. Ensemble ces quatre généraux suivis par leurs hommes électrisés traversèrent le pont au pas de charge en criant pour entraîner la troupe. Par chance, les défenseurs avaient tenté de détruire le tablier de l'ouvrage mais n'avaient réussi qu'à y creuser un trou. Les assaillants s'y jetèrent, descendirent accrochés aux poutres qui tenaient plus ou moins bien jusqu'au lit de la rivière. En cet endroit émergeait un banc de sable tellement en contrebas de la rive qu'il était à l'abri du tir des Autrichiens. Les généraux y regroupèrent leurs troupes, traversèrent le bras de la rivière qui n'avait guère plus d'un mètre de profondeur, escaladèrent la berge et se jetèrent sur la position des ennemis qui, tout surpris de les voir surgir, se défendirent à peine. Dans cette course héroïque, Berthier avait perdu son chapeau ! Le soir même, Bonaparte écrivait au Directoire pour rapporter le fait d'armes, précisant : « Mais je ne dois pas oublier l'intrépide Berthier qui a été dans cette journée canonnier, cavalier et grenadier ! »
En soi, l'affrontement de Lodi était assez mince, un choc secondaire ; mais, outre qu'il allait mettre en relief le courage physique du chef d'état-major, il allait permettre la consolidation de la campagne du Milanais. Le Directoire tint une fois de plus à rendre un hommage particulier à Berthier qui, dans ce combat, avait largement débordé de son rôle. Outre une lettre de félicitations personnelle, rédigée dans les termes les plus chaleureux, il le cita aux côtés de Bonaparte dans une note qui prenait des allures de proclamation, insinuant en quelque sorte que, sans lui, jamais le général en chef n'aurait pu réaliser ses prouesses.
Il ne restait plus qu'à investir Milan et surtout sa citadelle. À ce moment, trouvant Bonaparte un peu trop brillant à son goût, surtout qu'il se mêlait à la fois de diriger les opérations militaires et les négociations diplomatiques avec l'ennemi, le Directoire songeait à le remplacer par Kellermann, ce qui n'eût guère gêné Berthier. Devançant ses détracteurs, Bonaparte offrit sa démission et le gouvernement n'osa pas l'accepter. Le général en chef était alors pleinement occupé à négocier avec les ducs de Parme et de Modène. Il laissa donc à Berthier la responsabilité de l'armée. Le 16 mai, les Français entrèrent sans résistance à Milan et le quartier général s'y installa. Comme la citadelle encore tenue par les Autrichiens refusait de capituler, il fallut en entreprendre le siège. Dans le même temps, pour être à même d'organiser le Milanais, Bonaparte suspendit les opérations et mit pour quelques jours son armée au repos.
Repos ne signifiait pas pour Alexandre arrêt de son travail ! Au contraire ! Il écrivit aussitôt à son ami Clarke pour se plaindre qu'il manquait de dessinateurs et d'ingénieurs géographes et qu'au surplus, son frère Léopold, malade, était resté à Chambéry. Malgré ce surcroît d'occupations, Berthier allait trouver le temps de donner une nouvelle orientation à sa vie. Il devait tomber amoureux avec une intensité que personne dans son entourage n'aurait osé imaginer. Il réussit même dans les mois et les années qui suivirent, en dépit de la lourdeur de sa tâche, à écrire quotidiennement à l'objet de sa flamme des lettres sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir.
La seconde partie de la campagne de 1796 allait se révéler infiniment plus difficile que la première. Le conseil Aulique, état-major général des armées autrichiennes, avait enfin réalisé ce que représentait pour l'empire la perte de l'Italie. Baulieu, le général autrichien qui avait évacué le Milanais, s'était enfermé avec les débris de ses troupes dans la citadelle de Mantoue. Bonaparte fut donc obligé de se priver d'une partie de ses forces pour l'y assiéger. Dans le même temps, une armée autrichienne de secours, commandée par le vieux mais habile maréchal Wurmser, se concentrait afin de forcer le siège et de délivrer celle de Baulieu. Elle était à elle seule plus importante que la totalité de l'armée française. Bonaparte allait donc être contraint de manoeuvrer avec des forces réduites, d'où la nécessité d'appliquer une stratégie fondée sur la
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