Le Maréchal Berthier
choses incroyables à force d'être obscènes ». Mais Jean Savant, utilisant des termes plus crus, a évoqué « des lettres délirantes d'érotisme », sans parler des dessins quelque peu licencieux qui auraient accompagné celles-ci.
Lorsque Joséphine Bonaparte arriva en Italie, en juillet 1796, elle devint rapidement une amie de la marquise. Toutes deux connaissaient suffisamment les hommes pour s'apprécier et, comme elles chassaient sur des terrains différents, une complicité qu'aucune rivalité ne vint obscurcir naquit entre elles. Par une sorte de contrecoup, une amitié en tout bien tout honneur naquit entre Joséphine et Berthier. Il lui rendit de menus services, la conseilla pour lui éviter des brouilles avec son mari et, de son côté, elle s'efforça de faciliter sa liaison avec la marquise. Lorsqu'à l'été 1797, les Bonaparte s'installèrent au château de Monbello, Joséphine, sermonnée par son mari, montra quelque froideur vis-à-vis des maîtresses italiennes qu'amenaient certains généraux ; mais elle se comporta de la manière la plus charmante avec Giuseppa qui venait au bras de Berthier à toutes les réceptions.
Et le mari ? Car il y avait un époux, le marquis Visconti. Il prit, semble-t-il, son infortune avec philosophie. Ce grand seigneur avait l'esprit large et, du moment que les amants complices ne le forçaient pas à endosser une paternité indésirable, il accepta de fermer les yeux. Du reste, il sut tirer profit de la situation. Encore qu'il n'eût aucune compétence particulière pour cela, il se retrouva, grâce à Berthier, membre de la nouvelle municipalité de Milan, et lorsqu'à la fin de l'année 1797, Berthier rentra en France, il s'empressa de faire nommer le marquis ambassadeur de la République cisalpine à Paris afin de permettre à sa maîtresse de le rejoindre.
Alexandre amoureux comblait l'objet de ses désirs de cadeaux qu'elle acceptait sans se faire prier. La campagne d'Italie était, on le sait, source de profits ; et quels profits ! Un jour, Bonaparte, par un pur geste d'amitié, offrit à son chef d'état-major un diamant magnifique qui valait plus de cent mille francs. Il devait raconter plus tard qu'il fut un peu surpris et sans doute amusé de découvrir le lendemain la pierre qui brillait dans la chevelure de la marquise qui, non contente de l'avoir acceptée, l'exhibait aux yeux de tous.
Diverti au départ par ce qu'il considérait comme une excentricité de son adjoint le plus direct, Bonaparte ne tarda pas à être irrité par le comportement un peu ridicule de celui-ci. Durant le même été 1797, Berthier fit la connaissance d'un jeune peintre français qui vivait assez pauvrement à Milan en essayant de décrocher des commandes de portraits. Il se nommait Gros et devait devenir un des grands peintres de l'Empire. Alexandre lui commanda deux tableaux, l'un le représentant traversant le pont de Lodi et l'autre étant un portrait de la marquise. Il traîna ce dernier partout ! Aux étapes, il faisait dresser une petite tente à côté de la sienne, y installait le fameux portrait entre deux chandeliers, brûlait devant des parfums, et lorsqu'il avait un instant allait se perdre en adoration devant lui. Un tel comportement faisait ricaner Bonaparte, mais comme Berthier continuait à faire son travail avec la même efficacité, il fermait les yeux. Seulement, il ne pouvait s'empêcher de le taquiner à ce sujet. C'est ainsi qu'il entrait sans crier gare dans la fameuse tente, se couchait tout botté sur le sofa devant le portrait et se mettait à parler à voix haute de tout et de n'importe quoi. Berthier en était malade de rage, ce qui distrayait fort Bonaparte. Beaucoup plus tard, à Sainte-Hélène, l'empereur aigri se laissa aller à raconter à Las Cases « qu'il est arrivé qu'on a profané plus d'une fois son temple par un culte moins pur en y introduisant furtivement des divinités étrangères ». Ainsi, Alexandre aurait trompé la marquise ! Ce qui est certain, c'est que la connaissant, il se faisait beaucoup de souci quant à sa conduite en son absence. Pensant que leur séparation serait de longue durée et qu'il ne reviendrait peut-être jamais d'Égypte, elle ne tarda pas à le remplacer. Elle eut une liaison avec Barras. Évidemment, Berthier fut mis au courant. Il pardonna à sa maîtresse, mais Barras, qui avait été son bienfaiteur, devint l'objet de sa vindicte. Le poursuivant d'une haine féroce, il mit en jeu tous les moyens
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