Le Maréchal Berthier
d'organiser l'embarquement d'une division, Bonaparte avait donc un peu anticipé les événements, considérant qu'il finirait par emporter l'adhésion du gouvernement qui, dans le même temps où il finissait par donner son accord, continuait curieusement à pousser les préparatifs de l'invasion des îles Britanniques.
Berthier ne montra aucun enthousiasme pour un projet qui lui parut quelque peu chimérique.
Il ne croyait pas beaucoup au succès d'une invasion des Indes, mesurant, en bon chef d'état-major qu'il était, les difficultés d'organisation auxquelles l'armée aurait à faire face dans un pays dont on ignorait tout des ressources qu'il contenait. De plus, s'il participait à un tel voyage, il serait éloigné pour une période indéterminée de sa chère marquise. Certes, Bonaparte avait promis au Directoire d'être de retour en France pour la fin de l'année ; mais personne ne croyait vraiment à un tel engagement.
Aussi décidé à prendre du champ, Alexandre évoqua son état de santé (il commençait réellement à souffrir de rhumatismes), demanda un congé et l'obtint. Il ne mit pas la main aux derniers préparatifs, mais il se tint au courant des difficultés qui attendaient Bonaparte. Si le rapport du 14 mai de l'amiral Bruix qui déclarait « qu'il fallait faire refaire notre marine avant de rien tenter contre les Anglais » arriva trop tard pour lui être communiqué, il n'en conclut pas moins que cette expédition risquait de très mal se terminer.
Bonaparte avait quitté Paris, le 3 mai, et à la stupéfaction de son entourage, Berthier n'était pas à ses côtés. Il ne se décida à gagner Toulon que le 13 ou le 14 mai, et encore était-il bien résolu à essayer de persuader Bonaparte de renoncer à ce qu'il considérait comme une folie ! Il arriva le 17 ou le 18, et comme Bonaparte ne voulut pas l'écouter, il se résigna, en quelque sorte, à rester. Son arrivée était du reste prévue. Le général Caffarelli, chef d'état-major par intérim, savait que Bonaparte escomptait la venue de son second habituel. Il embarqua le même jour à bord de l'Orient , vaisseau amiral, et y trouva son état-major au complet, soit dix-huit officiers. Il n'avait pas, contrairement à son habitude, participé à leur recrutement mais connaissait tout de même la plupart d'entre eux. L'escadre appareilla le lendemain 19 mai (30 floréal, an VI).
Berthier, quoique résigné, mit immédiatement son monde au travail, constatant vite qu'il existait bien des lacunes dans la préparation de l'expédition. Il avait compris qu'on se lançait dans l'inconnu. Tout était nouveau et les hommes n'avaient pas la moindre idée sur la manière dont ils devraient se comporter. Même Bonaparte en qui chacun avait confiance n'était pas davantage renseigné et les promesses qu'il fit, voulant persuader son armée qu'elle voguait vers un pays de cocagne un peu semblable à l'Italie, allaient connaître le plus cruel des démentis.
La traversée s'effectua sans problèmes majeurs, la prise de Malte n'étant qu'un épisode insignifiant. Les responsables, Bonaparte, Brueys et, à un degré moindre, Berthier, craignaient une rencontre avec l'escadre anglaise, mais, par chance, celle-ci n'eut pas lieu. Le débarquement devant Alexandrie s'opéra sans difficulté et la ville elle-même tomba après une brève résistance. À partir de ce moment, l'état-major fut surchargé de travail, ayant à organiser l'occupation de la ville ainsi que de Rosette, puis à planifier la marche vers le sud. Dès le premier instant, commencèrent les déconvenues ; le pays était très pauvre : peu ou pas de vivres, des villes à demi ruinées, un soleil d'enfer ; même l'eau était rare et le vin inconnu. De plus, la population se révélait franchement hostile.
Cet état de choses ne tarda pas à entraîner un mécontentement général, d'autant qu'avant de quitter la France personne n'avait pensé à munir les soldats de gourdes pour la traversée du désert. En plus de son travail d'administrateur général, Berthier, se souvenant qu'il était cartographe, ordonna de faire lever des plans du pays car les cartes manquaient.
Un différend s'éleva dès le départ entre Bonaparte et Berthier à propos de l'escadre. Contrairement aux ordres qu'il avait reçus, le général en chef voulait la garder sous la main pour le cas ou il devrait précipitamment quitter le pays. Brueys désirait, pour sa part, regagner au plus vite Toulon et
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