Le Maréchal Berthier
l'année 1806, car l'automne tirait à sa fin. L'hiver dans ces contrées pouvait se montrer particulièrement rigoureux et l'armée n'était pas équipée pour y faire face. D'ailleurs, le seul adversaire était à présent l'armée russe encore bien loin, car elle n'était pas sortie des limites de ses États.
Le 25 octobre, l'empereur et le major général se trouvaient à Potsdam dans le palais de Sans-Souci. Le maréchal ne cacha pas à son souverain ce que fut son émotion en revisitant 23 années plus tard, mais dans quelles circonstances, les lieux où il avait été reçu par Frédéric II, la chambre du vieux roi et son tombeau.
Le 27, Napoléon escorté de Berthier et de Davout fit son entrée à Berlin. Berthier dans le même temps apprenait que les têtes de colonnes françaises atteignaient l'Oder et incidemment que le roi de Prusse s'était enfui au-delà de Varsovie. Les dernières unités prussiennes capitulaient les unes après les autres. Blücher se rendit le 7 novembre. Cependant, un incident avait opposé Napoléon à Berthier appuyé par Rapp, Caulaincourt et Duroc. Le prince prussien de Hatsfeld, gouverneur de Berlin, demeuré sur place, avait été chargé par le roi Frédéric-Guillaume de lui faire parvenir des renseignements sur l'armée française ; la lettre qu'il écrivit à son maître ne contenait que des informations assez anodines. Mais elle fut interceptée. Napoléon rendu furieux lorsqu'il l'apprit décréta qu'il s'agissait d'une affaire d'espionnage et décida de faire fusiller le coupable. Le cas n'était pas douteux mais la faute plutôt bénigne.
Arguant qu'il s'agissait d'un homme appartenant à une des premières familles de Berlin, Berthier alla jusqu'à refuser de rédiger l'ordre de comparution devant une cour martiale. Pourtant, aucun de ses quatre interlocuteurs ne parvenait à faire changer Napoléon d'avis. Le maréchal s'avisa alors d'un subterfuge. Il connaissait bien Napoléon et fit entrer dans son cabinet la femme du prince, de surcroît enceinte, qui se jeta en larmes aux pieds de l'empereur. Quoiqu'il méprisât les femmes, celui-ci se laissait facilement attendrir et fit grâce au coupable.
À présent, de plus en plus porté à l'optimisme, Napoléon estimait que l'armée française qui occupait Berlin depuis une quinzaine de jours avait eu le temps de se reposer. Il fit part à Berthier de son intention de franchir l'Oder, d'entrer en Pologne et de marcher contre l'armée russe. Pour la première fois, depuis qu'ils collaboraient, Berthier s'opposa violemment à Napoléon. Il lui décrivit l'état des troupes incapables, estimait-il, de faire campagne en hiver. Du reste, Napoléon n'était pas sans être au courant de la situation puisque, le 10 novembre, il avait expédié une note à Berthier demandant qu'on lui envoyât de France des renforts composés de conscrits qui n'avaient que quinze jours d'instruction et n'ayant même pas touché toutes les pièces de leur équipement. La scène entre les deux hommes eut lieu à Berlin un peu après le 10 novembre. Berthier conseilla de faire la paix ; mais Napoléon lui répondit avec grossièreté : « Vous voudriez bien aller pisser dans la Seine ! »
Le major général fut-il tenté de mettre sa démission dans la balance ? Certains l'ont soutenu, mais il n'en existe aucune preuve. En tous les cas, il est certain que l'état-major qui prévoyait de grandes difficultés tant sur le plan ravitaillement que par un manque de tenues d'hiver ignorait tout des positions des armées russes et n'en faisait pas mystère. Tout ce qu'il savait, c'était qu'elles avaient franchi le Niémen et étaient articulées en deux armées comprenant en tout un peu plus de cent vingt mille hommes. Quelles étaient leurs intentions ? Marcher contre les Français ou laisser passer l'hiver en demeurant au-delà de la Vistule ? Personne n'en savait rien. Simplement l'état-major apprit que Bennigsen, son commandant en chef, était entré le 14 novembre à Varsovie mais n'avait pas débouché de la ville, faisant preuve de beaucoup de prudence.
Napoléon décida de se porter sur l'ennemi et quitta Berlin le 25 novembre en compagnie de Berthier. Au même moment, Murat avançait déjà sur Varsovie où il entra le 28 novembre, occupant la moitié ouest de la ville sur la rive gauche de la Vistule, alors que les Russes s'étaient repliés sur la rive droite.
L'empereur et le major général arrivèrent à Posen à la fin du mois.
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