Le Maréchal Berthier
Ils constatèrent que le pays déjà extraordinairement pauvre ne pouvait ravitailler l'armée. Si les Polonais étaient tout disposés à acclamer les Français, leur coopération s'arrêtait là. Les paysans camouflaient réserves de vivres et bétail. Par ailleurs, il n'existait aucune carte de la région, et s'il avait constaté que les corps d'armée tourmentés par les soucis de ravitaillement étaient trop dispersés, Berthier ne pouvait, faute de repères, tenter de les rallier. Ce fut ainsi que, le 26 décembre, Lannes, avec des forces inférieures, battit difficilement Bennigsen. Davout fit de même avec Buxhowden. Trop épuisées, leurs divisions ne purent poursuivre les Russes sur un sol épouvantablement glissant. Napoléon n'avait assisté à aucun de ces combats car, en essayant de parvenir sur le terrain avec le renfort de la garde, il se perdit.
On sait qu'il n'existait aucune bonne carte de Pologne, et devant l'ampleur de la tâche qui les attendait pour en dresser une, le général Sanson réorganisa le corps des ingénieurs géographes. Il le divisa en deux détachements, chacun étant chargé des relevés dans une zone bien définie. Chaque jour, les ingénieurs devaient faire parvenir leur travail au major général qui le centralisait et procédait à l'assemblage pour construire des plans. Ces travaux, réalisés avec de faibles escortes, voire pas d'escorte du tout, n'étaient pas sans péril, car des patrouilles de cavalerie russes, souvent des cosaques assez sanguinaires, battaient le pays.
Les armées russes avaient disparu dans les profondeurs de la Pologne et les difficultés de se déplacer avaient empêché le corps de Soult de leur barrer la retraite. Toute poursuite était impossible. Napoléon retourna à Varsovie où il allait nouer une intrigue amoureuse avec une Polonaise, la comtesse Walewska, et laissa une fois de plus Berthier faire face comme il le pourrait à la situation. Ils estimaient tous deux que l'armée française devait prendre ses quartiers d'hiver et le quartier général fut ramené à Varsovie pour des raisons de commodité. Afin d'assurer un minimum de ravitaillement, il était nécessaire de disperser les corps d'armée, ce qui d'un point de vue purement stratégique ne cessait d'inquiéter Berthier. Du reste, même ainsi, l'acheminement des vivres posait d'énormes problèmes tant en raison des attaques des cosaques que de celles des loups, les convois, rapporte Parquin, devant être fortement escortés. Malgré cela, les soldats manquaient souvent de pain et d'eau-de-vie. Coignet raconte que, pour avoir découvert une cache de pommes de terre en sondant le sol avec sa baguette de fusil, il fut promu caporal. Afin d'occuper les hommes, Berthier fit procéder à l'élévation de fortifications de campagne autour de chacun des cantonnements pour les mettre à l'abri d'une attaque surprise. Il demanda à Paris qu'on lui expédiât des renforts car, outre les pertes occasionnées par la campagne d'automne en Prusse, la maladie faisait de terribles ravages dans les rangs : gel, pneumonie, et divers autres affections étaient cause que les hôpitaux de campagne trop peu nombreux étaient débordés, ainsi que le note le chirurgien Percy dans son journal. Tous ces problèmes relevaient de l'état-major qui était sur la brèche et s'efforçait de les résoudre les uns après les autres avec plus ou moins de succès.
Brusquement, au milieu de janvier 1807, Ney qui avait ses quartiers autour de la ville de Mlava décida, sans en référer à personne au préalable, de faire mouvement avec tout son corps sur le port d'Elbing sur la Baltique afin d'y assurer son ravitaillement par trop défectueux. Il prévint toutefois ses camarades, Soult et Bernadotte, qui se trouvaient sur sa gauche et sur sa droite et envoya son chef d'état-major Jomini informer après coup Berthier de son déplacement. En agissant de la sorte, il ouvrait une brèche de vingt-cinq lieues dans le dispositif français. Ce fut Soult qui, le premier, alerta le quartier général, ravi de jouer un tour à son camarade et en même temps inquiet, car il était conscient de la précarité de sa propre situation. Berthier et Napoléon entrèrent dans une violente colère. La lettre qu'expédia le major général au commandant du 6 e corps était rédigée dans des termes particulièrement sévères : « L'empereur, écrivait-il, n'a besoin ni de conseils ni de plans de campagne et notre devoir est
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