Le Maréchal Jourdan
général qui
allait en avoir besoin. Alors que le fameux décret ordonnait son arrestation, prélude
automatique à la comparution devant le tribunal révolutionnaire, Barrère, qui continuait à se
démener en sa faveur, obttit un sursis à cette dernière mesure en faisant remarquer
qu’on aurait pu difficilement trouver un général plus jacobin que
lui ! Jourdan, destitué mais toujours libre de ses mouvements, fut convoqué le
14 janvier devant le Comité de salut public pour se justifier. C’était en
quelque sorte lui ouvrir une porte de sortie. Malgré cela, il n’était rien moins que
rassuré car, à cette heure, les généraux malchanceux ou faisant preuve d’initiatives
titempestives avaient de fortes chances de monter à l’échafaud. Ce fut dans cet état
d’esprit qu’il se rendit à Paris. Il l’a raconté
d’une manière assez pittoresque, car il ne manquait pas d’humour dans ses
mémoires.
Le comité était tout disposé à écouter ses explications. Il les avait déjà entendues et les
avait acceptées, ce qui rendait sa propre attitude quelque peu ambiguë.
Néanmoins, il décida d’effectuer une enquête pour vérifier une
nouvelle fois ses dires, et la chance de Jourdan voulut que celle-ci fût confiée à son ami
Barrère. Duplicité de la part du comité, désir de se sortir d’une situation
inconfortable dans laquelle il s’était lui-même enferré ? Son
comportement a donné lieu à plusieurs titerprétations aussi peu satisfaisantes les unes que les
autres. Barrère, faisant diligence, remit son rapport le 3 février. Évidemment, il innocentait
Jourdan de l’accusation de trahison et insistait sur le fait que par son
comportement il avait contenu l’armée autrichienne. Fort habilement, il admettait
qu’à laisser trop longtemps un général à la tête de la même armée, on prenait le
risque de le voir manquer d’énergie et de dynamisme pour poursuivre la même
oeuvre, mais sans qu’il fallût y voir une source de blâme. Il concluait en
reconnaissant que le comité avait sagement agi en relevant Jourdan de son commandement mais que
là devait s’arrêter la sanction. C’était sagace. Car ce rapport
permettait au comité de se dégager de son faux pas sans perdre la face. Certes, Jourdan se
retrouvait sans commandement mais il échappait à la guillotine ! Mis à la retraite,
ce qui représentait une disgrâce mais sans conséquences immédiates, il eut l’audace
de faire remarquer aux membres du comité que, chargé de famille (ce qui était exact), il se
trouvait pauvre et sans ressources (ce qui l’était moins). Devant une telle
situation, ces féroces qui pouvaient avoir le coeur tendre se hâtèrent de lui accorder
une retraite de trois mille livres par an dont il n’avait nul besoin.
Il n’avait plus rien à faire à Paris où un séjour prolongé pouvait se révéler
malsain. Il décida donc de retourner à Limoges. Ernouf, qui, après avoir été incarcéré quelques
jours puis libéré sur l’titervention de Carnot, avait connu un destin identique au
sien, persuadé lui aussi que sa carrière était terminée, se dépêcha de rentrer à Alençon.
*
À Limoges, Jourdan, qui était devenu l’enfant le plus illustre du pays, fut
accueilli en triomphe. Il eut la sagesse de jouer les modestes et retourna dans sa famille
qu’il n’avait pas vue depuis deux ans et dans sa mercerie. Par humour ou
par bravade, il alla jusqu’à accrocher son uniforme et son épée de général en chef
au mur de son magasin, ce qui eut pour effet d’attirer les clients. Puis, comme si
ces deux années n’avaient été qu’une parenthèse sans conséquences, il se
remit à assister assidûment aux séances de la Société des amis de la liberté en prenant bien
soin d’éviter de s’y mettre en avant. Cette attitude, comparée à celle du
Romain Cincinnatus qui, quittant volontairement le pouvoir et les honneurs, était retourné
cultiver ses champs, lui valut un surcroît de considération.
À un moment où la terreur était à son comble, un tel comportement était fort habile. Aussi,
ses compatriotes, toujours aussi fiers de lui malgré sa récente disgrâce et son désir de
demeurer momentanément dans l’ombre, se hâtèrent-ils de l’élire président
de leur société. Comme un renforcement de civisme ne pouvait qu’être utile, Jourdan,
d’une
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